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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/583

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juge que je suis dépourvue de cervelle, il est raisonnable que je m’en préoccupe un peu, bien que je n’aie pas à m’étonner qu’on suscite contre moi de faux témoignages, puisqu’on en a bien suscité contre Notre-Seigneur. Mais la chose est de telle qualité et malicieusement produite en de telles circonstances, que je vous invite à entretenir le Roi mon père, de ma part, parce que ceux qui publient cela ne le font pas seulement contre moi, mais aussi contre Son Altesse elle-même. Il ne manque pas en effet de gens qui disent que cela lui convient en vue du gouvernement de mes royaumes. Ce que je ne saurais croire, Son Altesse étant un roi si grand et si catholique, et moi une fille si obéissante.

Je sais bien que le Roi, mon Seigneur (Philippe), a écrit en Espagne pour se justifier, se plaignant de moi en quelque manière ; mais cela ne devait pas sortir d’entre les parens et les enfans, d’autant plus que si j’ai agi passionnément et manqué à tenir l’état qui convenait à ma dignité, il est notoire que la seule cause a été la jalousie. Non seulement cette passion existe chez moi, mais la Reine, ma mère, qui fut si excellente et si exceptionnelle en ce monde, fut aussi jalouse. Le temps l’a guérie, comme il plaira à Dieu qu’il me guérisse de même.

Je vous prie et demande de parler en Espagne à toutes les personnes auxquelles vous jugerez qu’il soit convenable, afin que les gens bien intentionnés se réjouissent de la vérité et que ceux qui ont des idées mauvaises sachent que quand bien même je me sentirais telle qu’ils désirent, je ne penserais jamais à ôter au Roi mon époux le gouvernement de mes royaumes et de tous ceux du monde qui m’appartiendraient et que je ne laisserais jamais de lui donner tous les pouvoirs possibles aussi bien par amour pour lui que par la connaissance que j’ai de ses mérites, et parce que je ne saurais raisonnablement donner le gouvernement de ses héritages à l’un de nos fils sans manquer à ce que je dois. J’espère que nous serons bientôt en Espagne, où mes bons sujets et serviteurs me verront avec beaucoup de joie. Donné à Bruxelles, le 3 mai 1505. Moi, la Reine.


Il est inutile d’insister sur le caractère de cette lettre où, sous forme de prétermission, Ferdinand était accusé d’avoir, par ambition, donné le change sur l’état moral de sa fille ; où celle-ci faisait une allusion inconvenante aux sentimens jaloux d’Isabelle ; et où, sans parler des droits de son père, elle maintenait uniquement ceux de son mari. Tout y était concerté en vue de nuire au roi d’Aragon en l’obligeant à se retirer ou à résister illégalement à la mise en demeure de sa fille. C’était simplement la revanche de la lettre de Conchillos.

Philippe ne se contenta point de cette riposte : non seulement, ainsi que nous l’avons dit plus haut, il poursuivit des pourparlers suspects avec le roi de France et l’Empereur, mais encore il prétendit susciter à son beau-père des embarras dans le royaume de Naples et à Rome. Il essaya d’attirer Gonzalve de Cordoue dans