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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/586

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ne voudrait régner, » et déclare que les décisions souveraines seront revêtues de la signature des deux rois. En l’absence de l’un des deux, l’autre serait autorisé à signer seul. Le cas de conflit n’est point prévu. L’unique fait qui ressort nettement de ce texte qui prépare d’inévitables discordes, c’est l’incapacité de Jeanne reconnue ainsi à la fois par son mari, intéressé cependant à la nier puisqu’il était certain de régner sans difficulté sous son nom, et par son père qui s’en tient purement et simplement à la volonté d’Isabelle. Il est superflu d’ajouter qu’elle ne prit aucune part au traité de Salamanque. Il est ratifié par les deux Rois : chacun garda pour soi ses réserves et attendit tout de son savoir-faire. En attendant, ils se concédèrent mutuellement des dispositions favorables à leurs serviteurs respectifs : Conchillos fut mis en liberté et Ferdinand rendit, en apparence, ses bonnes grâces à Don Juan Manuel, son ennemi particulier et l’un des intimes conseillers de l’archiduc.

Les choses paraissant ainsi pacifiquement réglées, l’accès du territoire espagnol était ouvert à Philippe qui jusqu’alors pouvait craindre de s’y aventurer ; désormais il y venait en roi, et en mesure de poursuivre le complément de sa fortune : il résolut donc de ne plus tarder à se rendre dans la Péninsule, accompagné de la reine. Il avait un parti considérable parmi les Grands : le marquis de Villena, le duc de Najera, beaucoup d’autres, tenaient pour lui, et n’attendaient qu’un signal ; mais encore fallait-il le leur donner, se mettre personnellement à leur tête, prendre résolument d’abord une part du gouvernement en se prévalant du condominium établi par le traité de Salamanque, et s’emparer de l’autorité tout entière dès qu’on serait assez fort pour y réussir. Tel était son plan de campagne, et il décida de le mettre à exécution promptement, les choses étant arrivées à ce point où il faut qu’une solution intervienne. A la suite du mariage de Ferdinand avec Germaine de Foix, il se défiait trop des sentimens de Louis XII pour demander le passage sur le territoire français, tant pour lui-même que pour le corps de troupes qu’il comptait emmener en Espagne, et il prépara son voyage par mer.

Jeanne et lui s’embarquèrent donc en Zélande avec une escorte de 1 500 hommes de guerre bien équipés, le 8 janvier 1506. Les chroniqueurs du temps ont longuement raconté les dramatiques incidens de cette traversée hivernale. Une série d’affreuses tempêtes accueillit la flotte dans la Manche. La capitane, qui portait