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caricaturant, il idéalise. C’est la dernière évolution de la caricature.

On peut toutes les représenter par ceci. Un homme se promène dans un salon et dans un parc où se trouvent une boule-panorama, une psyché et un étang. S’il s’arrête successivement devant ces trois surfaces réfléchissantes, il aura de lui trois images très différentes. La boule-panorama lui enfle le nez, les joues, ramasse son estomac, vide ses bras et ses jambes qui diminuent en s’enroulant sous la sphère. Il se voit, tout convexe, ogre par la tête et insecte par les pieds. C’est la caricature déformante.

Il passe ensuite devant un grand miroir. Il se voit comme il est, mais s’il est un pauvre homme, entrepris dans sa redingote ou rechigné dans son veston, si sa « dégaine » est inélégante, ce portrait trop exact risque fort de sembler une caricature, d’autant que qui se regarde avec complaisance dans une glace a grande chance d’y voir un sot. C’est la caricature caractériste.

Enfin, il s’arrête devant l’étang, et, là, fût-il le plus banal des êtres, le reflet saisit sa figure, la renverse, la balafre des stries horizontales que fait le vent sur l’eau, l’allonge d’autant, fait flageoler ses jambes et baller ses bras, lui donne l’allure d’un fantôme, mêle à sa substance la substance du corps impalpable où elle s’abîme, enfonce enfin toute cette forme dans une atmosphère de ciel, de feuilles, de bois et de nuées qui la grandit et qui l’efface, — comme le symbole grandit et efface la réalité.

Cette promenade d’un bonhomme dans un jardin, c’est celle de l’Humanité devant la caricature, qui fut d’abord déformante comme une boule-panorama, ensuite fidèle comme un miroir, enfin profonde comme un reflet. Elle a d’abord fait rire ; elle a ensuite fait voir ; elle a enfin fait penser.

L’évolution dans le trait caricatural n’est pas moins sensible. D’abord immatériel comme un hiéroglyphe, il se matérialisa ensuite jusqu’au trompe-l’œil et redevient de nos jours immatériel autant qu’une écriture. Cette évolution a été dictée par les procédés mêmes de facture dont usait l’artiste et plus tard par les procédés de reproduction. Au temps des Ptolémées, ce que l’artiste cherchait dans la caricature, c’est la silhouette, — silhouette profilée au pinceau sur le papyrus ou entaillée dans la pierre sur les murs. Ses outils ne lui permettaient guère de donner du modelé, ni dans l’un ni dans l’autre cas. Il était donc réduit à une ligne synthétique délimitant le corps dans l’espace et exprimant d’un