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caricaturistes ne sont pas des amuseurs ; ce ne furent pas des amusés. Quand on feuillette l’histoire de ces contemplateurs ironiques de la vie, on croit lire un drame, bien loin de découvrir une source intarissable de gaieté. La gaieté, elle, logea chez les grands idéalistes, chez les créateurs de rêves fleuris ou d’épopées furibondes, comme elle loge le plus souvent chez les moines. Quant à ceux que leur profession oblige d’étudier de près le monde où l’on s’amuse, ils en reviennent quelquefois philosophes : ils n’en reviennent jamais gais. Gavarni s’ennuyait mortellement : « Ce que je fais, écrivait-il à un ami : les Masques et Visages par métier, et, par partie de plaisir, je travaille à faire rentrer le calcul infinitésimal dans la géométrie pure. » Daumier eut une vieillesse ombrageuse. Hogarth mourut de chagrin ; Traviès, dans le désespoir. James Gillray mourut fou. André Gill mourut fou. Robert Seymour se suicida.

Si elle n’est point fait du rire, la caricature est-elle donc l’art de la haine, de l’invective et du dédain ? Les belles œuvres qu’on lui doit sont-elles nées d’une violente indignation patriotique ou morale, devant l’oppression, l’injustice ou le vice triomphans ? — Pas davantage. Il n’y eut jamais plus d’indignation patriotique qu’en 1793, ni de plus mauvaises caricatures. Les seules bonnes qu’on connaisse contre la Révolution française sont de Gillray, qui était spectateur fort désintéressé de la bataille, étant Anglais, et de plus libéral au fond et admirateur du conventionnel David[1]. Quant aux caricatures des patriotes, soit dans le journal de Camille Desmoulins : les Révolutions de France et de Brabant, soit en estampes chez le terroriste Villeneuve, ou chez Palloy, elles sont au-dessous du médiocre, et ni un nom, ni une œuvre, parmi elles, n’ont survécu. La haine, au lieu d’éclaircir l’observation, l’obscurcit, et l’indignation, au lieu d’affiner la pointe, l’émousse. Les caricatures de Cham contre la Prusse en 1870 furent excellentes, tant que dura l’illusion de la victoire : quand la défaite fut irrémédiable, l’homme d’esprit n’eut plus d’esprit, — car il avait trop de cœur.

Il en est ainsi de toutes les caricatures de vaincus contre leurs envahisseurs. Soit qu’en 1635, les Français caricaturent le général impérialiste Gallas qui les a battus aux Pays-Bas, soit qu’en 1807 les Berlinois caricaturent les Français qui entrent à Berlin,

  1. Thomas Wright, Histoire de la caricature. Notice par Amédée Pichot.