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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/652

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puis une fois encore sur la rive droite. La physionomie du paysage est très particulière. Nous ne sommes pas encore en Chine, mais pourtant la Gouldcha n’a plus la physionomie qu’ont les rivières des pays plus occidentaux. Ce n’est ni l’allure tranquille des rivières des steppes, qui semblent errer lentement perdues sans but dans des plaines sans bornes, ni le cours impétueux et la grande masse d’eau que présentent certains grands fleuves de Tartarie dans la partie de leur lit plus voisine des montagnes. L’aspect de la rivière qui sert de fil conducteur pour aller au pays jaune est tout à fait celui de certains torrens qui se précipitent en éternelles cascades, fixées par la main d’un artiste génial et que nous trouvons baroque, sur de fantastiques paravens. Les cascatelles écumantes se superposent, séparées par des bassins où dort une eau profonde, incroyablement bleue et tranquille, tandis que, sur les berges, des fourrés d’arbrisseaux échevelés, dépouillés de leurs feuilles, plongent dans le torrent l’extrémité de leurs longues branches grêles. De grands arbres de forme étrange, maintes fois mutilés par le vent, par les avalanches, ou par des passans à court de combustible, sortent çà et là des fissures de rochers et encadrent la rivière de leurs silhouettes grimaçantes. Ces arbres, d’un port invraisemblable, comme je n’en avais jamais vu que sur certains écrans chinois, sont des peupliers de l’espèce dite Populus diversifolia, caractérisée par la variation extrême de ses feuilles, qui sont le plus souvent capricieusement déchiquetées, et ressemblent à tout ce que l’on voudra, excepté à des feuilles de peuplier. Leur ramification touffue est irrégulière au dernier point. Quelques-uns de ces arbres difformes, par des renversemens qui semblent fantastiques, trempent l’extrémité de leur cime dans la rivière. Le premier plan du décor devient d’ailleurs de moins en moins distinct. La nuit nous prend tout à fait. Nous ne sommes plus éclairés que par une étroite bande d’un ciel très lumineux, mais de peu d’étendue, qui nous apparaît entre les découpures noires des deux crêtes, lesquelles, par leur croisement, ont toujours l’air de former devant nous une muraille close qui s’ouvre sans cesse comme par magie, à l’instar de ce qui se passe dans certains contes de fées. Nous finissons par avoir l’habitude de ce phénomène, et certains de tenir la bonne route, nous la suivons machinalement, tout en la trouvant longue. Nous traversons encore deux fois la Gouldcha, heureusement sur des ponts, puis nous passons un de ses affluens, l’Àz-Kalti, parallèle à la