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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/655

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qui passe par le col de Terek-Davan. C’est pourquoi, à deux kilomètres environ au sud de notre campement du Targalak, après avoir auparavant poussé une simple reconnaissance topographique sur la route du Taldyk, nous tournons à gauche dans une vallée secondaire qui se dirige vers le sud-est. Les deux parois en sont formées par des escarpemens rocheux presque verticaux : mais le fond, large d’environ 500 mètres, en est uni et paraît devoir être couvert de gazon pendant l’été. Un ruisseau, affluent de la Gouldcha, y coule. Nous commençons à nous demander si un guide ne nous serait pas utile, maintenant que nous avons quitté la vallée principale. Mais Zounoun-Beg continue à être invisible.

Tout à coup, nous voyons venir à notre rencontre, suivant le fond de la vallée, un petit groupe de cavaliers. Celui qui paraît être le chef se détache, du plus loin qu’il nous aperçoit, et s’avance vers nous avec force démonstrations de joie. Ce chef est un personnage considérable : il nous dit qu’il se nomme Chi-Othman[1], fils de Djoumane, ou Chi-Othman-Djoumani, et qu’il commande à la population de cinquante yourtes. Nous échangeons les politesses d’usage. Il ajoute que, prévenu officiellement, la veille, de notre arrivée, il nous attendait, et qu’il va nous servir lui-même de guide. C’est le type le plus accompli du Kirghiz de montagne. Il paraît âgé de quarante à cinquante ans. Il est grand et fort, avec les membres courts et le buste très développé. Sa figure tannée, grêlée, couturée de cicatrices, imberbe et absolument ronde, est éclairée par deux petits yeux obliques et prodigieusement écartés, sans paupières apparentes, et dont l’expression est assez bonne. Son nez est à peine visible. Il a, comme tous ses congénères, une ample touloupe en peau de mouton, qui l’enveloppe complètement. Mais il se distingue des autres par un bonnet noir entouré de fourrure blanche, pareil au mien d’ailleurs, et qu’à ce titre j’aurais tort de critiquer, mais qui néanmoins ressemble à un bourrelet d’enfant. Avec sa grosse tête, des petits bras et sa robe, il a l’air d’un nourrisson colossal et informe. Nous compléterons son portrait en disant qu’il bégaye effroyablement. Comme il paraît fort expansif et jaloux de donner des

  1. Le mot Chi paraît être une forme mongole dérivée de l’arabe Cheikh, de même que le titre de Bi, donné aujourd’hui à de nombreux chefs kirghiz, et qui a été porté sur le trône par plusieurs souverains de la dynastie des Mangites, n’est autre que le mot arabe bey, ou le mot turc beg.