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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/860

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déclaré ne vouloir rien faire sans l’assentiment du Conseil royal, et, sous prétexte de fatigue ou d’ignorance, se maintenait dans une inertie absolue. Elle venait même de refuser l’accès de son appartement aux députés de Valladolid qui voulaient lui persuader de se rendre en cette ville, où dominaient les groupes populaires. Après les avoir obligés à lui parler à travers la porte, elle les avait congédiés au plus vite en leur disant quelle leur ferait ultérieurement connaître sa décision.

L’instant était donc favorable. Le connétable et l’amirauté, sans s’arrêter aux hésitations du cardinal-régent, investirent Tordesillas le 5 décembre 1520 et sommèrent la place de se rendre. Les assiégés ayant réclamé un délai dans l’espoir d’être secourus par les forces insurrectionnelles qui tenaient la campagne, le connétable repoussa cette demande, fit ouvrir la brèche par l’artillerie et donna l’assaut. La résistance fut vive, mais de peu de durée : en quelques heures, la ville fut prise et pillée. Les principaux chefs insurgés parvinrent à s’échapper, mais le prestige de la junte avait reçu une rude atteinte : elle perdait du même coup le siège de son gouvernement et la personne de la souveraine. Au contraire, les troupes royales avaient affirmé leur force par un succès éclatant, reconquis la reine, déconcerté la politique des communes, et recevaient le précieux encouragement d’une première victoire.

Jeanne, lorsque le connétable et ses officiers entrèrent au château, leur fit le meilleur accueil. On ne saurait croire que ce fut par frayeur ou par duplicité : j’estime plutôt que les autorités démocratiques l’avaient lassée par leurs exigences indiscrètes et qu’elle était fort indifférente à la défaite de ces prétendus sauveurs qui l’avaient persécutée de leurs discours, et gardée à vue avec autant de rigueur que les agens de son petit-fils. En outre, l’objet réel de ces discordes civiles dépassait la portée de son entendement et elle n’avait assurément aucune opinion précise sur les questions qui divisaient les deux partis. Il y a même lieu de penser que, dans le doute, elle était plutôt sympathique aux Grands, qu’elle avait vus, dès son enfance, autour du trône de son père et de sa mère, et que, par un vague instinct monarchique, elle se défiait des allures turbulentes et des projets mystérieux de l’insurrection. Elle admit donc très volontiers les vainqueurs à un baisemain solennel, à la fin de cette journée sanglante.