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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/886

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Niger moyen et le lac Tchad devait entraîner dans l’avenir et comme conséquence naturelle l’extension de ces mêmes possessions jusqu’au fond du golfe de Guinée, la réunion de l’Algérie, du Sénégal, de la côte d’Ivoire et du littoral dahoméen en un seul bloc ; en un mot, la constitution d’un empire de l’Afrique française qui irait d’Alger à Grand-Bassam, à Whydah et même jusqu’à Brazzaville ; et, dès lors, la formation de cet empire devint son rêve obsédant, et l’expansion française dans la vallée du moyen Niger, le principal article du programme qui fut alors conçu et exécuté. Pourquoi faut-il que ce résultat n’ait été atteint qu’au prix de pertes si douloureuses en hommes, de sacrifices si considérables en argent ; et que la manière dont la France a pris possession de ce pays présente un contraste si pénible avec la méthode qu’a suivie l’Angleterre dans le bas Niger ?

Certes il n’est guère douteux qu’on n’eût pu, avec du calme, du sang-froid, et un peu de cette patience qui est nécessaire dans les relations avec les peuples primitifs, maintenir nos bonnes relations avec les indigènes, étendre progressivement et par rayonnement notre influence, consolider notre domination. C’est cette ligne de conduite si sage que nous avions adoptée au début et que nous avions observée jusqu’en 1890. Elle nous avait valu l’amitié et l’alliance d’Ahmadou, de Tiéba, de Samory et du souverain du Dinguiray. Nous vivions en paix avec ces potentats indigènes, et, l’avenir étant à nous, nous n’avions qu’à laisser le temps faire son œuvre. Quelques centaines d’hommes suffisaient à maintenir l’ordre dans cet immense empire et le budget local ne s’élevait pas à deux cent mille francs. On pouvait se croire revenu aux traditions et aux procédés des grands siècles colonisateurs de notre pays, alors qu’avec une poignée d’hommes et presque sans argent, la France dominait dans les meilleures parties des trois continens et s’y faisait aimer des indigènes.

Tout à coup, par un brusque revirement, en 1890, une autre politique prévalut. On parla de chasser de ses États Ahmadou, de s’emparer des États de Samory, d’obliger à payer tribut les chefs du Dinguiray ; on songea même à s’emparer de Tombouctou. C’était substituer à la politique d’influence la politique d’occupation, à la politique pacifique la politique belliqueuse. La volte-face fut prônée surtout par les chefs militaires au Soudan. Désireux d’aller de l’avant, les commandants supérieurs du Soudan ne se demandaient pas si la réalisation de leurs projets était