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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/919

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tranquille, avec de brusques éclats d’une beauté plus chaude.

« Laura se trouvait, maintenant, assise, — presque en pleurant — sur une butte de mousse, en face du bois dont elle venait de sortir. Qu’y avait-il donc dans ce pays qui la captivât ainsi, qui lui parlât de cette voix si intime, si pressante ? C’est qu’elle-même était de ce pays, qu’elle lui appartenait, qu’elle le sentait mêlé à son sang. De profonds instincts héréditaires renaissaient en elle, du moins elle se plaisait à l’imaginer. Elle avait l’impression d’étendre les bras vers ces plaines et ces montagnes, et de leur dire : Je ne suis pas une étrangère ! Accueillez-moi ! Gardez-moi ! Ma vie est issue de la vôtre ! »


Alan Helbeck lui-même, le représentant d’une foi qu’elle déteste, incarne aussi à ses yeux le pays où il vit, où ont vécu ses pères au long des siècles. C’est encore Bannisdale qu’elle aime en lui, le vieux manoir avec son vieux parc, l’horizon de collines pierreuses, les rivières « courant des montagnes à la mer. » Et elle ne se décide point, d’ailleurs, à l’aimer, sans avoir d’abord essayé d’incarner en un autre homme l’âme de ces régions sauvages et charmantes. Peu s’en faut, en effet, qu’elle ne donne son cœur à un de ses cousins, Hubert Masson, un jeune rustre vigoureux et sensuel qui, dès qu’il la voit, en devient amoureux. Mais il est trop simple, trop brutal, trop absolument dépourvu de toute éducation, et Laura ne tarde pas à s’apercevoir qu’au lieu de l’aimer elle a peur de lui. Helbeck seul, désormais, a de quoi lui plaire ; et jusqu’à la fin du roman une lutte terrible se poursuit en elle, la partageant entre sa passion et ce qu’elle croit être la conscience de son devoir.

Nous ne pouvons malheureusement que louer en passant les chapitres consacrés par Mrs Humphry Ward aux relations de Laura avec ses cousins les Masson. Peut-être y sent-on un peu l’imitation de peintures semblables faites jadis par Emily Brontë dans Wuthering Heights : mais ce n’en sont pas moins, à notre avis, les chapitres les plus vivans et les plus émouvans du livre, précisément parce que l’auteur n’y a point cherché à nous convertir. Elle s’est bornée à nous y dépeindre, avec une force et une variété de couleur saisissantes, la vie d’une famille de paysans à demi sauvages, se complaisant dans une atmosphère d’ignorance et de fanatisme. La haine est la seule passion qu’ils connaissent, la haine de tout ce qui ne sent pas, ne croit pas comme