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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/941

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le lit du drame musical le torrent de la symphonie. » Encore faudrait-il s’entendre ici précisément sur la nature de la symphonie chez le musicien de l’Héroïque, ou même de la Symphonie avec chœurs, et chez le musicien de Tristan. Mais si Wagner peut, d’un certain point de vue, être regardé comme l’héritier sous bénéfice d’inventaire de Beethoven, sous des angles beaucoup plus nombreux il se révèle son inconscient, mais irréconciliable contradicteur. Pour son disciple, ou son successeur (le titre d’héritier est si lourd ! ), Beethoven eût plutôt reconnu parmi nous un Saint-Saëns, un Brahms parmi ses compatriotes. Dans l’œuvre que nous étudions aujourd’hui, rien ne se rencontre qu’on ne trouve chez Beethoven. Entre l’auteur de la Messe solennelle et celui du Requiem allemand, la différence est de degré, mais non pas de nature. Les notes sublimes de l’un donnent chez l’autre leurs harmoniques. Wagner est un grand novateur, Brahms est un gardien auguste, et l’analyse de son œuvre fera mieux sentir que d’abstraites définitions, tout ce que, de la forme classique, son génie moderne a pu tirer encore de vie impérissable et d’éternelle beauté.

Vous plaît-il de commencer par le commencement, non seulement par celui de l’œuvre même, mais par le commencement de toute musique, par l’élément ou le principe, par l’atome ou la cellule vivante : la mélodie ? Partout, et dès le premier morceau du Requiem, elle offre les signes de la mélodie classique, et classique allemande. Moins immédiate et spontanée, moins extérieure, et, pour ainsi dire, plastique, que la mélodie italienne, elle ne jaillit pas comme celle-ci d’un seul jet. Une ritournelle, que le chant lui-même ne fera que reproduire, n’expose et n’impose pas ce chant d’abord et en bloc. De quelques mesures, de quelques lignes préparatoires, l’idée se dégage indirectement et comme de biais. Elle se définit et se cristallise par degrés. Elle est une somme et un résultat. Les derniers thèmes de Beethoven et, par exemple, dans la Messe en , celui de l’Agnus Dei, se présentent de cette façon. Autrement préparé qu’un chant italien, un tel chant est aussi plus composé. Il n’est pas beau de cette beauté surtout individuelle que possède une mélodie italienne : soit le Kyrie d’un Requiem très différent, celui de Verdi. Certes la phrase de Brahms est mélodie ; à cette mélodie pourtant la polyphonie est nécessaire et comme consubstantielle. Les autres parties vocales et les instrumens font plus que l’accompagner : ils la complètent et dans une certaine mesure la constituent. Elle est un groupe et une association. Une atmosphère, ou plutôt une draperie l’enveloppe ; elle n’étale point au soleil la seule nudité de ses formes superbes. Et puis elle frappe, elle saisit moins