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besoin de tant d’affaires ; fallait-il provoquer tant de confidences de domestiques, tant de ces grosses indiscrétions qui sont de petites trahisons ; fallait-il tant épier par les serrures et tant écouter aux portes ? Que la reine Wilhelmine soit autre chose qu’une effigie effacée et sans relief à mettre sur les monnaies et sur les timbres-poste, ne s’en aperçoit-on pas tout de suite ? Et si, par impossible, on ne s’en était pas aperçu, le premier acte de son règne ne la révèle-t-il pas ? Car son discours aux Etats-Généraux est son œuvre personnelle ; il est tout entier d’elle, et d’elle seulement. Elle n’en a donné connaissance au Conseil qu’une heure avant de partir pour l’église, en avertissant ses ministres qu’il lui serait pénible qu’ils y voulussent changer quoi que ce fût : « C’est la première fois que je fais quelque chose comme reine, leur a-t-elle dit, et c’est aussi la dernière fois que, comme reine, je fais quelque chose sans vous : mais, devant parler aujourd’hui aux représentans de mon peuple, je désire leur parler moi-même ; vous ne voudrez pas me causer un chagrin en m’en empêchant. » Tout cela gentiment, mais résolument. Et si résolument, qu’il est des « libéraux » qui en ont pu prendre ombrage, et que l’un d’eux ne craignait pas, deux ou trois jours après, de s’exprimer ainsi : « Elle ne tardera pas à apprendre qu’il n’y a pas de place, dans ce pays, pour le pouvoir personnel. »

Voilà une belle déclaration, mais un peu forcée ; et où découvre-t-on là-dedans une menace sérieuse de « pouvoir personnel ? » Autant dénoncer la restauration de la monarchie absolue et le retour aux pratiques féodales, parce que, fatiguée, la jeune Reine a fait prier ses féaux sujets, en liesse pour son avènement, d’aller s’ébattre ailleurs que devant le Palais et de la laisser goûter quelque sommeil. Mais quoi ? Quand elle serait Orange en ceci et en cela, Orange par le bas du visage comme par le haut, par la volonté comme par la bonté, son « père inoubliable », le roi Guillaume III, n’a-t-il pas été, pendant plus de quarante années, le modèle des rois constitutionnels ; et pourtant, à la mort de Guillaume II, n’avait-on pas dû lui faire violence pour qu’il revînt de Londres, où il s’était réfugié en haine du régime constitutionnel ? « Puisque mon père, répliquait-il à toute objurgation, a cru devoir accepter l’absurde constitution de 1848, gouverne qui voudra ; quant à moi, je ne m’en mêle pas ! » Il finit tout de même par s’en mêler, et, de mémoire de peuple, jamais roi n’observa plus scrupuleusement une constitution qu’il jugeait « absurde. »