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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/158

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« chaire où la vérité fût éternellement à l’abri de la contagion de l’erreur, » c’était justement aux Etats-Unis. « Ceux qui sont nés et qui ont grandi dans le sein du catholicisme, disaient à ce propos les Pères du concile, ne se doutent pas de la gravité des maux que le Dieu de miséricorde voulut à tout jamais écarter de son Eglise en instituant la primauté de Pierre et de ses successeurs… Mais nous, en Amérique, ces maux et ces dangers, si menaçans et si douloureux, et sous lesquels sans ce secours le chrétien succomberait, nous ne les voyons pas seulement, mais nous pouvons vraiment dire que nous les touchons du doigt : ipsis fere manibus contrectare licet. » D’autres considérations suivaient, plus précises, non moins concluantes, et les évêques d’Amérique terminaient en se plaignant que, trop infidèles à ces sages principes, « beaucoup, plurimi, dont ils avaient cru pouvoir mieux attendre… ne vissent, dans les nouveautés les plus extraordinaires, qu’autant de symptômes et de gages assurés d’un progrès qui élèverait leur siècle au-dessus de tous ceux qui l’avaient précédé. » On ne pouvait être plus catholique ; et, dans le sens abusif que l’on donne quelquefois à ce mot, on ne pouvait être moins « Américain. »

Est-ce donc à dire qu’il n’y ait rien de nouveau dans l’évolution du catholicisme aux Etats-Unis ? Non, sans doute, mais il faut s’entendre. Multæ sunt mansiones in domo Patris : il y a plus de diversité qu’on ne croit dans l’ample sein du catholicisme, et, au centre même de l’unité, il y a place pour plus de liberté qu’on ne pense. La vérité catholique ne varie pas : « Elle est aujourd’hui ce qu’elle était hier, elle sera demain ce qu’elle est aujourd’hui. Mais ce sont nos rapports avec la vérité qui changent, et nous découvrirons demain ce qui nous était hier encore caché. » N’est-ce pas ainsi que notre connaissance des phénomènes de la nature dépend de leurs propriétés, mais ces propriétés existaient avant de nous être connues ; et, d’autre part, ce sont toujours les mêmes propriétés, mais différens esprits en tirent de différentes conséquences ? Essayons d’éclaircir ce que cette comparaison a d’obscur ; et, par exemple, voyons comment une union plus étroite avec le Saint-Siège, bien loin de contraindre la liberté de l’Eglise d’Amérique, l’a au contraire accrue ; comment, d’une soumission plus complète, l’indépendance de la personne est sortie plus entière ; et comment enfin, d’une manière plus hardie d’en user avec la tradition, il est résulté un rajeunissement de la tradition même.