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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/166

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sociétés de tempérance. D’autres questions encore, — qu’il serait long, et peut-être imprudent, de vouloir ici débrouiller, comme la question des écoles, — se mêlaient à celle de la total abstinence. Si l’on était assez profondément séparé des protestans sur d’autres points, il semblait que les Allemands prissent un maladroit plaisir à s’en distinguer jusque sur les points où rien n’était plus facile et même plus « chrétien » que de s’entendre avec eux. Car pourquoi des catholiques n’observeraient-ils pas le dimanche aussi scrupuleusement que les méthodistes ou les presbytériens ? et quelle nécessité que des moines fabriquent des liqueurs ou vendent de la bière ? Mais les Allemands s’obstinaient ou plutôt s’entêtaient dans leurs revendications. On les aidait d’Europe. On faisait entrevoir le temps « où les Allemands, les Italiens, les Slaves, — il y a dès à présent une importante colonie polonaise à Chicago, — formeraient des États distincts, soit en se séparant des Anglo-Américains, soit que ces derniers eussent eux-mêmes été absorbés par les nouvelles nationalités. » Et, à la vérité, ce n’était plus de Rome ici qu’il s’agissait ! Mais il y a des confusions que l’on fait volontiers ; et, tandis que les autres communions s’assimilaient ou s’ « américanisaient, » il restait qu’une importante fraction du catholicisme repoussait au contraire cette « nationalisation. »

L’émotion des vrais Américains fut naturellement très vive, et leur réponse très nette aux prétentions des Allemands. « Loin de nous, — disaient Mgr Ireland et Mgr Keane, dans un pressant Mémoire qu’ils opposaient, dès 1886, à celui du « représentant des catholiques allemands, » — loin de nous la pensée d’exclure les Allemands de l’épiscopat américain, mais un caractère étranger dans l’Eglise, a foreign character in Church, sera toujours un danger pour la religion ; et nous ne voulons pas plus en Amérique d’un nationalisme allemand que d’un nationalisme français ou irlandais. » Ils disaient encore : « Toutes les concessions qu’obtiendront les Allemands, nous les verrons réclamées à leur tour par les Français, les Bohémiens, les Polonais… » Et ils concluaient : « Il est facile de déchaîner une tempête prochaine contre l’Église catholique aux États-Unis ; et même le moyen en est sûr ! il n’y a qu’à nous donner pour cela les apparences d’être le produit d’un nationalisme européen : to make her appear as the product of a European nationalism. » On retrouve les mêmes idées et le même accent dans un discours prononcé à Paris, au mois de juin 1892,