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des fidèles. C’est ainsi que sa tendance au socialisme a trouvé dans sa foi les limites que déjà son individualisme y avait rencontrées ; et de même que, de son individualisme, il ne lui était demeuré qu’un peu plus d’indépendance, d’activité, de hardiesse, pareillement, de son socialisme, il ne lui est resté que d’être une Église vraiment populaire. Lui est-il défendu de se croire quelquefois, à ce double titre, l’initiatrice d’une époque nouvelle ?

Elle le croit, en effet ; et, de plus d’un côté, avec des intentions différentes, où parfois se mêle quelque aigreur, c’est-bien un peu ce qu’on lui reproche, de vouloir aller trop vite, et sinon d’être trop « moderne », mais enfin de vouloir prématurément ériger des pratiques locales et particulières en maximes de l’Eglise universelle. « Nous autres, Américains, — écrivait récemment Mgr Keane, — nous croyons dans la simplicité de notre cœur que nous ne saurions trop étroitement sympathiser avec les idées du siècle où la Providence nous a fait naître… Mais les Européens, eux, partent de ce principe que les idées du siècle sont essentiellement voltairiennes, impies, anti-chrétiennes. Et nous avons beau dire qu’en Amérique il n’en est rien ; que les idées anti-chrétiennes, impies, voltairiennes n’entrent pour rien dans la composition de l’esprit américain ; que nous sommes aussi éloignés de toute propagande anti-chrétienne que des horreurs de la Révolution française, il n’importe ! et pour toute réponse nous n’obtenons qu’un sourire d’incrédulité. » Cela ne viendrait-il pas, Monseigneur, de ce qu’en Europe, les idées modernes ne sont pas encore tout à fait purgées du vice qu’elles tiennent, les unes de leur origine, et les autres de la nature des applications qu’on en a faites ? Il n’y a rien de plus facile à un Américain que d’oublier ou d’ignorer comment Voltaire a entendu « la liberté, » par exemple, et Robespierre « la fraternité ; » mais nous, en Europe, nous ne le pouvons pas ! Les Américains sont les fils de leur temps : beaucoup d’entre nous, en Europe, et non des moindres, ni des pires, n’en sont que les victimes. Nous ne pouvons pas anéantir ce qui a été, ni libérer entièrement le présent de l’hypothèque du passé. Et si de certaines questions, qui sont chez nous alourdies, embarrassées, obscurcies d’histoire se posent en Amérique à « l’état de neuf, » pour ainsi parler, nous en félicitons de grand cœur l’Amérique, — en l’enviant un peu, — mais nous ne pouvons, nous, pour les mieux résoudre, commencer par les mutiler en les détachant de leurs antécédens ; et nous le pourrions que personne sans doute,