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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/239

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M. Georges Berger a voulu très délibérément le renverser : il n’y a pas réussi, mais il a ouvert la voie à M. de Mahy. Les intentions de M. de Mahy n’étaient pas aussi meurtrières, mais le gouvernement, par sa maladresse, les a rendues telles, et c’est sur l’ordre du jour du député de la Réunion qu’il est venu s’enferrer.

M. Georges Berger exprimait un blâme contre le cabinet, parce qu’il n’avait pas défendu l’armée et ses chefs. La question était bien posée, trop bien peut-être : aussi quelques timides ont-ils hésité, et un moment le cabinet a pu se croire sauvé. Mais M. de Mahy a demandé pour l’avenir ce qui n’avait pas été fait dans le passé ; il a exprimé un désir, une espérance, et cela sous une forme si bénigne et si naturelle qu’on ne s’explique pas l’opposition de M. le président du Conseil. Il n’avait qu’à dire oui, et le ministère restait debout ; il a préféré dire non, et le ministère s’est effondré. Quos vult perdere… ! Nous ne comprenons pas encore aujourd’hui pourquoi M. Brisson s’est opposé au vote de l’ordre du jour de Mahy. A quoi s’engageait-il en l’acceptant ? Sans doute à déposer un projet modifiant la loi sur la presse, et c’est devant cette obligation qu’il a reculé. La loi sur la presse est-elle donc à ce point sacrée, non seulement dans ses principes généraux, mais dans toutes ses parties ? Quoi ! le ministère qui avait compris la nécessité de protéger l’armée, et qui avait promis d’y pourvoir par la circulaire de M. Sarrien, venait ensuite confesser que l’imperfection de la loi ne lui en avait pas donné les moyens, et il se refusait à corriger la loi ! En vérité, l’attitude de M. Brisson est sans excuses. Bien qu’il eût mérité de tomber dix fois au cours des vacances, il dépendait encore de lui, au dernier moment, d’échapper à son sort. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Ne l’a-t-il pas voulu ? Se sentait-il las et fatigué ? Aspirait-il au repos ? Mais alors, pourquoi s’être prêté à la dernière tentative de sauvetage faite par M. Berteaux, un imprudent ami ? A peine l’ordre du jour de M. de Mahy était-il voté, que M. Berteaux a proposé à la Chambre d’y ajouter qu’elle avait confiance dans le gouvernement pour l’appliquer. L’expression de cette confiance aurait dépassé la mesure ordinaire. M. Brisson venait de repousser la proposition de Mahy, et M. Berteaux se disait sûr qu’il l’appliquerait ! La Chambre ne s’est pas prêtée à cette comédie. Quelques minutes plus tard, M. Brisson et ses collègues remettaient leurs démissions entre les mains de M. le président de la République.

Nous ne savons pas si, suivant un mot historique, c’est bien coupé ; mais certainement il faut recoudre, et le plus vite possible, car la situation générale se prête mal à un long interrègne gouvernemental.