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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/304

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le roi était assis au grand bureau qu’il occupait habituellement une fois la nuit tombée. M. Guizot était assis sur la table située dans l’embrasure de la fenêtre donnant sur le jardin des Tuileries, et où le roi travaillait pendant le jour. J’étais debout près du roi. Comme j’insistais une dernière fois sur la nécessité d’accorder à M. Thiers, même la dissolution, que, de toute évidence, il demanderait immédiatement au roi, puisqu’il tombait sous le sens qu’il ne pourrait gouverner avec une majorité qui avait été fidèle, trop fidèle peut-être, ajoutai-je, au dernier ministère : « Eh ! monsieur, répondit M. Guizot d’un ton plein d’impatience et de hauteur, — que deviendra la majorité ?… » Mais j’ai cru, je crois encore entendre ces mots, non pas la majorité, mais ma majorité. M. Guizot les a-t-il prononcés ? je n’ose l’affirmer, et j’opte pour le mot le plus modeste et le moins compromettant pour la mémoire de M. Guizot. C’en était trop, d’ailleurs, et c’est avec non moins de vivacité et de hauteur, que je m’écriai : « Eh ! monsieur, que deviendra la royauté ?… Que deviendra la dy- nastie ? »

À ce moment, le roi nous interrompit ; peut-être n’avait-il pas prononcé de jugement au dedans de lui-même ; mais, dans tous les cas, il inclina comme toujours du côté de M. Guizot que je laissai bientôt seul avec lui. Ma sortie fut naturellement amenée par une mission que le roi voulut me donner et à laquelle il me fut impossible de consentir.

« Vous avez raison, me dit-il, il faut prendre un parti. Allez chercher M. Thiers, et amenez-le-moi le plus tôt possible.

— Ah ! Sire, lui dis-je, vous m’épargnerez cette tristesse : je ne peux aller chercher M. Thiers ; j’ai pu me résigner à le conseiller au roi, mais j’entends ne me faire aucun mérite auprès de M. Thiers de ce conseil. Permettez-moi donc d’aller porter de votre part l’ordre à un de vos aides de camp d’aller avertir M. Thiers que le roi l’attend aux Tuileries et qu’il l’invite à s’y rendre sans aucun retard.

— C’est bien, faites comme vous le voudrez. »

Et je sortis pour me rendre dans le salon des aides de camp d’où, après avoir fait donner l’ordre royal, je me rendis dans la pièce qui précédait le cabinet du roi. J’y retrouvai le duc de Montpensier, qui m’avait donné la main quand je l’avais traversé, et m’avait demandé de revenir auprès de lui. C’est là que je me promis d’attendre M. Thiers, à qui je voulais adresser quelques