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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/331

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des Européens fussent insultés dans la rue, tandis qu’ils l’étaient fréquemment avant la guerre et que je l’ai été moi-même, comme beaucoup d’autres, à Canton. Mais l’entrée de presque tous les édifices est restée interdite. Le seul temple aisément accessible est celui de Confucius, une grande salle banale au toit élevé supporté par des piliers de bois peints en rouge. On visite également les lieux d’examen des lettrés, plusieurs milliers de minuscules cellules alignées sur plusieurs rangées parallèles où les infortunés candidats à la licence et au doctorat sont enfermés durant plusieurs jours de suite pour faire leurs compositions. Lorsqu’on a été en outre à l’ancien observatoire, où se trouvent deux séries d’instrumens, les uns datant de la domination mongole au XIIIe siècle, enfouis dans la végétation au fond d’une cour, les autres du XVIIe, fabriqués sous la direction du jésuite Verbiest, astronome de l’empereur de Chine, au sommet des murailles, on a fini la visite des monumens de Pékin.

Aussi bien les promenades dans les rues, le long du pied des énormes murailles ou sur leur sommet, sont-elles autrement intéressantes et instructives qu’une visite de temple ou de palais. On y est frappé à chaque instant de ce qui fait la force de la race chinoise et la faiblesse de l’Etat chinois, du contraste de l’activité incessante, méthodique, persévérante des particuliers et de l’incurie officielle. On se convainc, par tout ce qu’on voit, que les Européens trouvent aujourd’hui la Chine dans une décadence comparable à celle de l’Empire romain au moment de l’invasion des Barbares. Cette ville de Pékin, qui a dû être autrefois une magnifique capitale, n’est évidemment plus que l’ombre d’elle-même : Le nombre de ses habitans, 700 000 à 800 000 au plus aujourd’hui, diminue et quantité de maisons sont en ruines ; telles grandes voies, jadis superbement pavées, sont défoncées par suite d’un manque d’entretien séculaire ; des égouts autrefois couverts coulent maintenant en plein jour et, à demi comblés par des dépôts qu’on n’enlève jamais, souvent complètement obstrués, se répandent en mares infectes ; des pans entiers des murailles, qu’on ne prend pas soin de réparer, s’écroulent quelquefois. On les relève alors, mais, comme la plus grande partie des fonds consacrés à ce travail reste aux mains grasses des fonctionnaires et des entrepreneurs, il n’est jamais bien fait ; on n’aurait garde, du reste, de reconstruire solidement, car on s’enlèverait ainsi, avec la chance d’un nouvel effondrement, une source de bénéfices futurs. En