Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la pensée religieuse. Les mélodies et les accords ne sont pas des interprètes moins fidèles que les formes, les couleurs et les mots. Serviteurs dociles d’un idéal changeant, ils ont su traduire tour à tour la foi contemplative et mystique ou la simple et robuste croyance, et tantôt la conception dramatique, théâtrale même, de notre destinée, tantôt la vision joyeuse et rayonnante, à la Rubens, des plus sanglans mystères. Enfin, dans la musique aussi, le « goût du divin » a quelquefois remplacé l’amour de Dieu, et s’il est un sentiment dont témoignent aujourd’hui certaines œuvres d’un maître moderne et charmant, c’est bien cette nuance d’esprit ou de sensibilité que M. Jules Lemaître a un jour définie la piété sans la foi.

Mais il y a dans la foi quelque chose qui ne passe ni ne change jamais, quelque chose d’universel et de fixé. Ce fond immuable de la croyance est également celui de la liturgie ; il en constitue la matière et le texte même et, pour être liturgique à son tour, l’art est tenu de s’y adapter et de s’y soumettre. La musique est d’autant plus obligée à cette soumission, qu’elle touche en quelque sorte de plus près que les autres arts à la vérité religieuse et qu’elle y peut être plus profondément ou conforme ou contraire. La peinture, la sculpture ne représentent de Dieu que l’apparence sensible, l’humanité et la mortalité que pour nous et comme nous il a prise. Mais la musique se lie, — avec quelle étroitesse ! — au verbe même, au verbe qui était dès le commencement, qui était en Dieu, qui était Dieu. La musique, à l’église, n’accompagne et ne traduit pas seulement la prière, c’est-à-dire ce que nous disons à Dieu, mais ce que Dieu même nous a dit et continue de nous dire ; d’où la nécessité d’une appropriation plus stricte et plus sévère. Un tableau de Paul Véronèse, une statue de Bernin sera moins déplacée dans une église, qu’une mélodie d’opéra, fût-ce une pièce instrumentale, comme l’ouverture d’Obéron, que j’entendis un jour exécuter par une fanfare dans la basilique du Sacré-Cœur. Le peintre des Noces de Cana, le sculpteur de sainte Thérèse ont pu méconnaître, altérer le sens du sujet et l’expression du modèle ; modèle et sujet demeurent pourtant reconnaissables. Mais qu’y a-t-il de commun entre l’ardente musique de Weber et les offices de l’église ? L’architecture elle-même, plus symbolique et plus idéale que la peinture et la statuaire, est pourtant moins que la musique la servante de la liturgie. Elle a le droit de construire la maison de Dieu suivant des