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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/370

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les lois du discours libre diffèrent essentiellement de celles du discours asservi à des règles. Là, ce sont les lois de la récitation naturelle ; ici, celles d’une mesure sévère produisant des longues et des brèves, des pieds et des vers ; là ce sont les lois du rythme naturel, innées, pour ainsi dire, à la langue ; ici ce sont des lois de convention, imposées au langage[1]. »

On ne saurait mieux dire, et cette comparaison, par hasard, est raison. Il y a justement entre la musique grégorienne et l’autre, la même différence rythmique qu’entre la prose et la poésie. Le rythme du chant grégorien ne ressemble à rien tant qu’à celui d’un beau style oratoire, périodique et nombreux. Et s’il est certain que ce rythme lui-même a ses lois, il n’est pas moins évident qu’elles sont moins étroites, moins conventionnelles que les autres, et que, pour leur obéir, la musique a moins à sacrifier de son naturel et de sa liberté.

Pas plus que le rythme, la mélodie grégorienne n’est esclave. Syllabique parfois, d’autres fois elle est ornée et fleurie. Sur une syllabe accentuée ou finale il arrive qu’elle brode des vocalises véritables. Mais ces vocalises demeurent toujours expressives parce que toujours elles sont lentes. Chacune des notes qui les composent, demeurant distincte, garde sa valeur et sa beauté propre. Il n’y a pas là de « traits », de « roulades » insipides, mais encore, toujours des mélodies, et tandis que la vocalise profane est trop souvent l’exercice matériel d’une inutile virtuosité, le « mélisme » grégorien peut envelopper de ses plis gracieux un sentiment sincère ou une pensée profonde.

C’est alors que la musique pure, celle qui ne parle pas mais qui chante, prend de passagères et délicieuses revanches. On peut même se demander si la musique, si la mélodie n’est pas née autrefois de ces échappées ou de ces fantaisies furtives. Sans doute on commença par ne connaître et ne pratiquer que la récitation, la psalmodie recto tono, c’est-à-dire sur une seule note. A celle-ci peu à peu d’autres notes s’ajoutèrent, soit pour annoncer le verset, — et ce fut l’intonation, — soit pour le terminer, — et ce fut la cadence. En ces deux épisodes, exorde et conclusion, la mélodie put se donner carrière. Dans le premier, la voix n’abordait pas encore le texte ; dans le dernier, elle l’avait énoncé tout entier ; dans l’un et dans l’autre elle était quitte envers lui,

  1. Le Plain-chant et la Liturgie, par un Bénédictin d’Allemagne. Traduction de l’abbé Wolter ; Paris, Gaume éditeur, 1867.