Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à se développer comme le monnayage de l’or[1]. Et, devant ce stock toujours grandissant de lingots et de numéraire, il faut vraiment admirer la constance des subtils dialecticiens qui cherchent encore dans une soi-disant disette monétaire la clef de tous les grands problèmes économiques et sociaux de notre fin de siècle.

Il ne faudrait pourtant pas prendre le contre-pied de ce système et dénoncer, comme nous préparant d’autres calamités, la surabondance de l’or. La circulation générale des peuples est loin d’avoir atteint, en ce qui concerne ce métal envié, le point de saturation au-delà duquel commencerait pour lui une crise analogue à celle de l’argent. L’Europe et l’Amérique en sont encore à s’emprunter tour à tour, pour leurs règlemens de comptes, une partie des milliards emmagasinés dans les caves de leurs banques, et il est plus d’un Etat, des deux côtés de l’Atlantique, où les paiemens se font avec du papier, faute de mieux. Tout cet or, monnayé ou non, que les nations se disputent, ne représente pas, en somme, une bien grosse masse, malgré les amples renforts de ces dernières années. En réunissant tout ce que les mines ont pu sécréter d’or, dans tous les continens, à toutes les époques de l’histoire, jusqu’à l’heure où nous sommes, on n’arriverait à former qu’un cube de dix mètres de côté. Dix mètres, quinze pas, qu’est-ce que cela ? Il existe dans Paris cinquante salons où tout cet or tiendrait sans peine. Et le contraste est saisissant, n’est-ce pas, entre l’invraisemblable exiguïté de ce bloc de métal dont on aurait si vite fait le tour, et l’incalculable influence que chacun de ses fragmens a exercée sur les destinées d’un siècle ou d’une race ! Nulle part, quand on y songe, la disproportion n’apparaît plus flagrante entre la cause et l’effet. Aussi, la génération qui va suivre la nôtre pourrait-elle encore voir passer du simple au double la productivité des pays aurifères, sans que la prospérité générale des sociétés ait à en souffrir. L’heure n’est pas près de sonner où, comme le jeune prospecteur du Too Much Gold Creek, le monde arrivera à s’écrier : « Trop d’or ! trop d’or ! »C


A. DE FOVILLE.

  1. Voir les Rapports annuels du directeur de l’Administration des Monnaies au ministre des Finances, années 1896, 1897 et 1898.