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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/423

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les métiers de la Croix-Rousse auprès de l’Inspiration chrétienne, ou dans les plaines qui entourent la ville de l’Ave Picardia nutrix. Ce sont les travaux humbles et incessans dont on entend le lointain et immense murmure, quand on se tient dans l’escalier du palais des Arts à Lyon. Si la politique les oublie, l’art s’en souvient. Par-là, il évoque ce qu’elle nous cache, grandit ce qu’elle diminue, et nous ramène à ce qu’il y a de plus vrai dans la vie d’un peuple, de plus décisif dans son histoire et de plus permanent dans son humanité.

Le second caractère de cette œuvre c’est la force qui sauvera ses figures symboliques des sautes de vent de la mode et des reflux de l’oubli. Quand on ne les admirera plus pour leur mystère, on les admirera pour leur clarté. Quand on n’y cherchera plus d’intentions profondes, on y trouvera encore la santé, la robustesse, la sérénité des âmes sans mystère et des corps sans prétentions. Ces figures qui ne sont point accablées, tortueuses, affinées, pensives comme celles des Esthètes, qui sont moins italiennes que celles de Burne-Jones, mais plus latines, moins florentines, mais plus antiques, moins attirantes, mais plus durables, n’ont rien à craindre des réactions de l’ « esprit latin. »

Les symboles en sont assez vastes pour que chaque génération qui passe y puisse mettre son rêve, ou son inquiétude, ou son désir. Si, en d’autres temps, nous y cherchâmes surtout ce qu’il semblait y avoir en elles de poésie oisive, de vie égoïstement spéculative, de dilettantisme insouciant, nous y chercherons maintenant peut-être davantage ce qui peut nous incliner aux austères pensées et aux viriles résolutions. On s’est peut-être trop attardé, en France, aux Bois sacrés, chers aux Arts et aux Muses, pendant que la patrie était livrée de toutes parts à des discordes que les Muses mêmes ne sauraient chanter avec harmonie et à des périls que les Arts ne peuvent suffire à conjurer. On a trop vécu Inter artes et naturam, sans se préoccuper de ce qui s’agitait sous les toits de la ville au loin aperçue, dans la fresque de Rouen, entre les chercheurs de stèles, sous les pommiers symboliques. Pendant ce temps, l’Été passait, ses nymphes fuyaient et les feuilles du saule prenaient les teintes fauves qui annoncent la nouvelle saison. Il est temps de regarder, au Musée de Lyon, la sévère page de Puvis de Chavannes, l’Automne et de s’en imprégner longuement. C’est la saison des fruits les plus fortifians comme le raisin, les plus parfumés comme les poires, et les plus durables comme les