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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/435

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II

Nous touchâmes au fond de ce déclin et l’Allemagne atteignit le sommet de son habileté et de son influence, quand éclata la guerre entre les Grecs et les Turcs. La Crète avait les mêmes raisons que l’Arménie de se soulever : là aussi la politique islamique d’Abdul-Hamid avait fait aux chrétiens une existence d’insécurité et de mépris. Mais comme, en Crète, les musulmans sont quatre-vingt mille et les chrétiens trois cent mille, après quelques agressions, les musulmans, cernés dans les villes par les orthodoxes, appelèrent des renforts à leur secours, et le sultan envoya des troupes dans l’île ; leur arrivée fut le signal d’une insurrection générale.

La situation se trouva aussitôt compliquée par l’ingérence de la Grèce qui fit passer aux insurgés des munitions et, opposant à la souveraineté du Turc l’identité de race entre les Crétois et les Grecs, réclama l’île comme une portion du royaume hellénique. La Grèce, comme l’Italie, est un pays aux qualités multiples et qui se ferait une belle place à les utiliser : mais la grandeur de son histoire la condamne à la politique d’imagination, elle mesure ses ambitions contemporaines à ses forces antiques. Les « sociétés nationales, » sorte d’organisations moitié secrètes, moitié populaires, sont l’expression spontanée et constante de cette mégalomanie, et, comme elles sont la force électorale dans un pays tout démocratique, elles y rendent fort difficile un gouvernement de raison. Dans ce conflit, une issue restait pourtant ouverte à la paix honorable ; elle avait été à plusieurs reprises, après des insurrections Crétoises, indiquée par l’Europe et acceptée par les sultans. Il fallait obtenir que, selon des promesses déjà anciennes, la Crète reçût un gouverneur chrétien, avec une force militaire composée à la fois de chrétiens et de musulmans, et que la souveraineté turque fût réduite à une suzeraineté et à la perception d’un tribut. Les solutions que personne ne veut en cas pareil sont celles auxquelles tout le monde finit par se résigner. Soustraire les Crétois à l’arbitraire turc était apaiser l’insurrection, calmer la révolte ; c’était enlever le prétexte à l’annexion hellénique, imposer silence à la Grèce, permettre à l’honneur turc une retraite. Il était certain que, selon l’usage, la vassalité imposée à la Crète se transformerait en indépendance à la prochaine crise de l’empire