Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On ne s’est pas fait faute de dire que les cartouches allemandes donnaient 30 pour 100 de ratés, et que, si quelqu’un doit pour cela de la gratitude au génie germanique, ce sont les Grecs et non les Turcs. Dans le gouvernement, qui à la veille de la guerre avait une confiance sans réserve envers l’Allemagne, deux partis se sont dessinés : à la tête de ceux que l’Allemagne elle-même accuse de lui être défavorables sont les deux chefs de l’armée, le grand maître de l’artillerie et le ministre de la Guerre. Dès ce moment une désillusion commençait, comme au premier défaut découvert dans un ami. L’insistance allemande à réclamer de nouvelles commandes et de nouvelles fournitures, le soin de l’Empereur à remercier par lettres autographes le sultan pour les avantages promis, témoignaient que cet ami songeait surtout à lui-même et portait ses bons offices sur une carte à payer.

Mais, si la carte était chère, les services étaient solides ; grâce à eux le sultan régnait toujours en Crète, gardait la Thessalie en gage de l’indemnité due par les Grecs, et, jusqu’au jour invraisemblable où cette nation en faillite trouverait du crédit, le gage devait rester au créancier. L’Allemagne s’intéressait si bien à la conservation de la province par le sultan qu’elle avait, preuve suprême, servi non seulement de sa parole, mais encore de son argent, cette politique. La Turquie, pour attendre le paiement de l’indemnité, avait besoin de ressources ; elle s’était adressée à la Banque Ottomane, c’est-à-dire aux capitaux français, comme un prodigue retourne, quand sa bourse est vide, aux vieux parens oubliés. Le gouvernement français avait saisi l’occurrence ; las de ne plus compter pour rien, et, sans se demander s’il ne tentait pas une action isolée, ni si sa demande avait grand intérêt, il avait soufflée à la Banque Ottomane la réponse : la Banque offrait de prêter 800 000 livres turques et d’en verser comptant 200 000, mais à condition que la Turquie évacuât la Thessalie. Aussitôt la Deutsche-Bank, se mêlant à l’entretien, avait été prête à avancer non seulement 800 000, mais 1 200 000 livres, soit de compte à demi avec la Banque Ottomane, soit seule et sans condition d’évacuation. La Banque Ottomane dut fournir ainsi sa part du prêt. Dans cet engagement où les deux gouvernemens de France et d’Allemagne s’étaient menacés sous le masque des deux banques, l’habileté encore et l’avantage étaient à l’Allemagne. Le sultan conclut qu’en somme ces services méritaient salaire, et il se montra large de promesses envers la puissance qui, seule en Europe, le poussait à garder la Thessalie.