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monter une garde impossible et sans fin autour de l’anarchie crétoise. Plusieurs puissances, comprenant un peu tard que cette impuissance était une défaite pour la civilisation chrétienne dans tous les pays musulmans, ont songé à finir par où elles auraient pu commencer, et, dès le mois d’avril 1898, demandé l’installation d’un pouvoir international dans l’île, pour empêcher des massacres entre orthodoxes et ottomans, rétablir l’ordre matériel et préparer l’avènement d’un gouvernement définitif. Aux premiers mots, l’Allemagne a déclaré que de telles œuvres portaient atteinte aux droits du sultan, et elle a rappelé l’unique navire qu’elle eût envoyé dans les eaux crétoises. Quelques jours après, l’Autriche a suivi son chef de file et s’est retirée du concert. Le sultan a pu croire que la Triple Alliance se prononçait en sa faveur. Mais l’affaire de Crète a été la première fissure de la Triplice. L’Italie s’est séparée de ses alliés. Quatre puissances se sont trouvées d’accord, et, sans s’inquiéter des résolutions que pouvait préparer l’Allemagne, hier conductrice et aujourd’hui dissidente, elles se sont partagé les points de surveillance sur le littoral et ont ramené dans l’île une paix précaire comme leur installation ; mais, pour ceux que chaque heure menace, la sécurité d’une heure compte, et ces heures ajoutées les unes aux autres commençaient la prescription contre le régime turc, et le calme apportait la preuve que la source principale du désordre était l’autorité du sultan. Celui-ci, pour éviter le danger, multiplia ses défenses et ses ruses. Tantôt il annonçait l’envoi de troupes nouvelles, puis, sur la réponse des amiraux qu’elles ne débarqueraient pas, invoquait, lui qui retient selon sa volonté ses soldats au service, l’illégalité de leur maintien sous les drapeaux, invoquait, lui le souverain de l’Arménie, le respect dû à la vie humaine et l’insalubrité de l’île, pour obtenir la faculté de relever les postes et transformer ensuite cette permission en la reconnaissance de sa souveraineté. Enfin il se résigne à nommer un gouverneur chrétien, et il sollicite l’amie de l’Allemagne, l’Autriche, afin qu’elle propose un candidat choisi par lui. L’Autriche répond qu’aucun sujet du sultan ne peut plus être gouverneur en Crète ; elle aussi abandonne la souveraineté du sultan. L’Allemagne reste seule pour le défendre, mais n’empêche rien. Elle se tait, et ce sont d’autres puissances qui recommencent à élever la voix. Le mois de juillet a amené le dernier versement de l’indemnité : la Russie a rappelé sa créance de 1878 et exigé 17 millions d’acompte. La