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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/446

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Lentement, lentement, quel fantôme s’anime ?
Kéris, ah ! c’est Kéris, l’impudique cité,
Kéris, qui dans la mort expie encor son crime !


III


Et puis rien… Par degrés, le jour s’est attristé.
Un vent tumultueux s’élève, et du ciel tombe
Sur la mer somnolente une morne clarté.

Où donc est maintenant l’aile de la colombe ?
Où donc les bleus vaisseaux avec leurs drapeaux blancs ?
On a le cœur serré comme autour d’une tombe.

Un cri de mort s’abat sur les récifs branlans,
Le flot sinistrement bat les roches meurtries,
Lugubre est, dans l’air froid, l’adieu des goélands ;

Et rien n’est demeuré des sublimes féeries
Qui se jouaient naguère en ce divin décor,
À la grâce du vent et des vagues fleuries.

L’oiseau miraculeux vient de prendre l’essor,
Il plane, il plane, et comme lui s’est envolée
La fée au clair visage avec ses cheveux d’or ;

Déjà s’est laissé choir sur la mer désolée
La nuit, lourde d’angoisse et grosse de sanglots ;
On n’entend que le bruit de la vague écroulée.

Le vent a redoublé de fureur, et les flots,
Plus courroucés toujours, escaladent la dune.
La douce Vierge ait en pitié les matelots !


IV


Ô mer, ô mer, ô mer, coureuse de fortune,
Chercheuse d’infini par-delà les grands monts,
Toi que le soleil brûle et que fleurit la lune ;

Belle au front couronné de sombres goémons,
Nous savons le secret de ta tendresse brève,
Et tes yeux sont pareils à ceux que nous aimons.