Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelée à s’exercer par la guerre. Il y a, à tout cela, des réserves et des atténuations de forme ; les orateurs anglais sont passés maîtres dans l’art de placer à côté d’une affirmation quelque chose qui ressemble presque à une négation ; leurs phrases se balancent entre le pour et le contre et le oui et le non, dans des conditions qui ne permettent à la pensée de s’en échapper qu’à demi ; mais cela suffit pour qu’on la reconnaisse, quand elle est d’ailleurs aussi explicite que l’est en ce moment celle de lord Salisbury. Comment pourrait-on s’y tromper lorsqu’on lit dans le discours du Guild Hall des phrases comme celle-ci : « Nous avons l’impression que des causes pouvant conduire à la guerre prévalent de tous côtés ? » Et ces guerres risquent d’éclater avec la plus tragique soudaineté. « Elles fondraient sur nous, dit lord Salisbury, sans avoir été annoncées, avec une rapidité effrayante. Un nuage de tempêtes s’élève à l’horizon avec une promptitude qui défie tous les calculs, et il se peut que, deux mois à peine après que vous aurez reçu le premier avertissement, vous vous trouviez engagés dans une guerre qui mettra votre existence en jeu. » Voilà un grave avertissement et, bien qu’il s’adresse spécialement à l’Angleterre, il sera entendu encore ailleurs.

Quant à savoir quelles sont ces causes de guerre auxquelles lord Salisbury fait allusion, son discours ne le dit pas, ou, s’il le dit, c’est dans des termes dont il est difficile de préciser le sens exact. Il constate qu’un certain nombre de gouvernemens dans le monde « sont si mauvais qu’ils ne peuvent se maintenir, et qu’ils n’ont ni la force de se défendre, ni l’affection de leurs sujets. » Plusieurs nations sont tombées en décadence. Et il ajoute avec une étrange philosophie : « Vous voyez, au moment où ce phénomène se produit, des voisins poussés par un motif ou par un autre, soit par haute philanthropie, soit par désir naturel de se créer un empire, toujours prêts ou disposés à contester entre eux quel sera l’héritier de la nation qui déchoit. » Nous avouons avec lord Salisbury que, parmi les motifs qu’il envisage, il est parfois difficile de distinguer à leurs effets la haute philanthropie du simple et naturel désir de se créer un empire : aussi les met-il sur le même plan. Quoi qu’il en soit, la guerre apparaît au bout de toutes les avenues où s’engage sa pensée, de toutes les périodes où s’aventure sa phrase, et, après avoir dit qu’il est impossible de suspendre des arméniens commencés, il en donne cette autre raison, beaucoup plus forte assurément, pour expliquer qu’on les continue. C’est d’ailleurs ce que le duc de Devonshire, président du conseil privé, disait le même jour à Eastbourne : « Tout le monde a compris que