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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/481

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France ait pu avoir le projet, assurément peu sérieux, de reprendre de biais la question d’Egypte, et, n’ayant pas pu la résoudre au Caire, d’aller en chercher la solution à Fachoda. Ce mouvement tournant, pratiqué sur un aussi long rayon et avec des forces aussi notoirement insuffisantes, était condamné à un échec certain. Il est plus vraisemblable, comme notre gouvernement l’a d’ailleurs déclaré, que nous avons voulu nous assurer un débouché sur le Nil, et y choisir un point pour en faire le centre des intérêts français. Notre colonie du Congo et du Haut Oubangui se serait trouvée ainsi en communication avec un autre grand fleuve africain, le plus européanisé de tous, venant se déverser dans la mer européenne par excellence.

A la supposer réalisable, cette pensée pouvait être intéressante ; mais, si on l’adoptait, il fallait renoncer à soutenir avec intransigeance qu’en vertu des « droits dormans, » invoqués plus tard par lord Salisbury, tout le Soudan continuerait, quoi qu’il arrivât, d’appartenir à l’Egypte et à la Porte. Si l’on croyait que ces droits pourraient être utilement opposés à l’Angleterre, qui du reste s’en servait à son tour ou les combattait suivant son intérêt du moment, on commettrait une erreur un peu naïve : l’Angleterre devait passer à travers ces prétendus obstacles comme à travers une toile d’araignée. La vérité est qu’il aurait fallu grouper d’autres intérêts avec les nôtres sur le Haut Nil, et établir entre eux une intime solidarité. Il y a eu un moment où cela n’était pas impossible. On était loin de la bataille d’Omdurman, et l’Angleterre n’avait pas encore d’idées arrêtées sur ce qu’elle ferait par la suite. Le roi du Congo a essayé alors de s’entendre avec nous : il avait à la vérité des exigences qui n’étaient pas toutes acceptables, mais ce n’était pas une raison pour les repousser en bloc, et pour refuser a priori l’accord qu’il nous offrait. On l’a fait pourtant, non seulement à cause des exigences auxquelles nous faisons allusion et qui n’étaient sans doute pas irréductibles, mais parce qu’il s’agissait, disait-on, d’occuper des territoires qui appartenaient au Khédive et au Sultan. C’était la politique du chien du jardinier, qui garde bravement contre les autres le potager de son maître, sans d’ailleurs en profiter lui-même. Comment y avons-nous renoncé ? Comment, après avoir refusé de faire avec le roi Léopold un acte qui nous paraissait illégitime et dangereux, l’avons-nous fait sans lui ? Comment, n’ayant pas voulu aller à deux à Fachoda, y sommes-nous allés tout seuls ? C’est ce que nous renonçons à expliquer. Si nous avions été deux sur le Nil, nous aurions peut-être pu en appeler d’autres. Les ambitions de l’Italie n’avaient même, en les envisageant