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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/621

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bien à tort, chacun accuse tout haut de s’être patiemment ménagé cette vengeance[1].

L’accusation est calomnieuse : Marie-Catherine n’a pas tant de noirceur dans l’âme. Incapable d’une longue rancune, elle ne songe guère aux représailles ; son chagrin et ses larmes sont sa meilleure défense. A la longue, cependant, cette guerre à coups d’épingle agit sur son humeur. Sa gaîté disparaît et sa douceur s’altère. Redoutant sans cesse quelque attaque, elle se tient sur ses gardes, mesure toutes ses paroles, perd de son naturel et de son abandon. Dans l’entourage du prince, on lui trouve « l’air pédant, » on se divertit tout bas de sa mine « sérieuse et guindée, » de l’austérité de ses propos, de ses singulières prétentions à « prêcher la morale[2]. » La jeune comtesse de Bombelles qui, en 1781, passa quelques semaines au château de Chantilly, trace dans ses lettres à son mari un assez amusant tableau de toute cette société. On y prépare, lorsqu’elle arrive, deux comédies-vaudevilles : l’Épreuve délicate et l’Amant jaloux ; Mme de Monaco ne fait point partie de la troupe, et les répétitions sont joyeuses, pleines d’entrain. Le prince de Condé remplit le rôle de l’amoureux ; il fredonne ses couplets d’une voix « faible et très fausse, » mais joue avec finesse, esprit et légèreté. Il s’interrompt entre chaque scène pour causer gracieusement avec les interprètes, accable toutes les femmes de complimens galans, et débite « mille folies, » dont il rit le premier du meilleur cœur du monde. Le duc de Bourbon renchérit sur son père par sa gaîté bruyante ; la princesse Louise elle-même, bonne, indulgente et douce, participe volontiers à l’animation générale. Mais parfois, au plus fort de cette joie légère, la porte du salon s’ouvre, Mme de Monaco paraît… et c’est, dans l’assistance entière, comme un « changement à vue. » Il semble qu’ « un rideau se tire sur tous les visages ; » les fusées de rire s’éteignent, les conversations cessent ; le prince quitte brusquement la compagnie des dames, va s’asseoir avec embarras à côté de sa maîtresse, de l’air humble et contrit d’un « petit garçon » pris en faute ; et la plus piquante comédie n’est pas celle qui se joue sur les planches du théâtre.

On ne s’étonnera pas qu’en de telles conditions Mme de Monaco prenne Chantilly en grippe, et rêve quelque abri plus discret

  1. Correspondance publiée par M. de Lescure. — Souvenirs de Mme de la Ferté-Imbault.
  2. Correspondance de Mme de Bombelles. (Arch. de Seine-et-Oise.)