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de son plus irréconciliable adversaire. Sa qualité de princesse étrangère ne peut la sauver d’être inscrite sur la liste des émigrés. La Terreur va plus loin, et confisque tous ses biens en France ; le beau domaine de Betz est vendu aux enchères, ainsi que tout ce qu’il contient[1]. Encore, grâce à sa retraite lointaine, est-elle quitte à bon compte : la plupart de ceux dont elle porte le nom sont frappés de façon plus dure. Honoré III, arrêté comme suspect le 28 septembre 1793, n’est relâché qu’au bout d’un an, et meurt six mois après, des suites de sa captivité. Son fils aîné, le duc de Valentinois, également arrêté à Paris, passe plus de quinze mois en prison[2]. Son second fils, le prince Joseph, échappe au même sort par la fuite ; mais la jeune femme de ce dernier, la belle-fille de Marie-Catherine, cette délicieuse princesse de Monaco-Stainville, restée auprès de ses deux filles, paie de sa tête son amour maternel. Qui ne connaît les détails de sa fin, ferme et touchante jusqu’au sublime, son refus, « pour ne pas se salir d’un mensonge[3], » de se déclarer enceinte, sa lettre à ses enfans, d’une si noble éloquence, ses cheveux blonds qu’elle coupe avec un éclat de vitre, « de peur qu’ils soient souillés par la main du bourreau, » le rouge dont elle couvre ses joues pour en dérober la pâleur aux regards curieux de la foule, et les derniers mots qu’elle adresse, au pied de l’échafaud, à l’une des femmes à son service qui va y monter après elle : « Du courage, mon amie, il n’y a que le crime qui puisse montrer de la faiblesse » ? Ce meurtre s’accomplit le matin du 9 Thermidor ; elle a pris place dans la dernière charrette !

Plus heureuse que les siens, Marie-Catherine au moins traverse saine et sauve l’effroyable tourmente. L’éloignement, la rareté des nouvelles, l’exaltation guerrière entretenue par d’incessans combats, atténuent même sans doute, pour la poignée de fidèles qui suivent la fortune de Condé, l’horreur des événemens qui ensanglantent le sol de la patrie. C’est sur les bords du Danube qu’ils apprennent la mort de Louis XVI ; au camp de Steinstadt, près de la Forêt-Noire, celle du petit martyr du Temple ; ils proclament son successeur entre deux actions de guerre. En 1797, ils sont dans les steppes de Russie ; le bruit de la paix générale leur parvient, trois ans plus tard, au milieu des

  1. Le procès-verbal de la vente est aux archives de Beauvais.
  2. Monaco, par G. Saige, 1897.
  3. Lettre de la princesse J. de Monaco à Fouquier-Tinville. (Arch. nationales.)