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travaux pleins d’intérêt : c’était un esprit original qui s’était cultivé lui-même, en dehors des écoles, par l’étude personnelle et l’observation directe de la nature. Sa carrière, qui s’acheva dans les honneurs académiques, avait commencé en dehors des hiérarchies scientifiques. Issu d’une famille ruinée par l’émigration, il avait mené, pendant les campagnes de l’Empire, l’existence errante d’un médecin des armées. Il s’était retiré de bonne heure, aux environs de Tours, et il occupait les loisirs de sa retraite et l’activité de son esprit à des recherches sur la physiologie des plantes et des animaux. Il a eu, d’ailleurs, de cette science, à part quelques idées aventureuses, une vue plus exacte et plus pénétrante que la plupart de ses contemporains.

Dutrochet fut mis pour la première fois en présence d’un fait d’osmose, au cours de l’examen qu’il pratiquait au microscope d’une moisissure aquatique déjà étudiée par Needham : il vit l’eau pénétrer à travers la membrane des capsules terminales, les gonfler, en chasser le contenu, sans qu’il pût se rendre compte de la force qui était entrée en jeu. Il retrouva le même phénomène, quelques années plus tard, incidemment, en observant la manière dont se fait l’évacuation du spermatophore de certains mollusques ; et cette fois, il comprit le caractère nouveau de ce mouvement. Il en détermina les conditions ; il sut les reproduire.

Deux liquides miscibles l’un à l’autre, une membrane de nature organique qui les sépare et qui puisse être mouillée par eux ; voilà tout ce qu’il fallait pour la production de l’osmose. De telles conditions sont précisément réalisées par la nature chez tous les êtres vivans et dans toutes leurs parties. Le phénomène qui en résulte est une manifestation dynamique, une création de force infiniment remarquable. Un double courant s’établit à travers la membrane, qui transporte chacun des liquides vers l’autre, avec des vitesses différentes et, en fin de compte, les mélange. Il y a donc, du seul fait de la mise en présence des deux liquides et de la membrane, création de courant, c’est-à-dire impulsion, et c’est ce qu’exprime le terme d’osmose, emprunté au grec. La force osmotique qui prend naissance dans des circonstances si simples et, pour ainsi dire, à si peu de frais, peut atteindre une énergie extrême. Nous verrons qu’on employant un artifice convenable pour consolider la membrane, on peut avec une solution de sucre et de l’eau distillée soulever une colonne de liquide à la hauteur de plusieurs mètres. En somme, l’osmose se manifeste par trois