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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/681

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La Chine est la seule nation de la terre qui ait eu pour instituteur un petit vieillard morose, de sens très rassis, grand débiteur de sentences, goûtant peu les théogonies, les contes de fées et les légendes et n’opérant jamais de miracles. Comme l’a remarqué un Anglais, les livres classiques de l’école confucienne font un contraste frappant avec la littérature des Indous, des Grecs, des Romains et des Juifs : « On y chercherait vainement une description immorale, une expression choquante, une phrase qui ne pût être lue à haute voix dans le cercle d’une famille anglaise. Tout Chinois qui aspire à servir l’État doit prouver au préalable dans des examens publics qu’il est savant en morale. L’empereur est responsable envers le ciel de tous ses actes ; c’est un principe officiellement reconnu que le bonheur du peuple doit passer avant le bonheur de ses gouvernans, que les hommes capables et vertueux sont seuls dignes de gouverner les autres, que le gouvernement doit être fondé sur la vertu[1]. » C’est ce que disait à sa façon Maximilien Robespierre, qui, sans le savoir, était allé à l’école de Kung fu tsé ou de Kung Kiu.

Il ne faut rien exagérer : la Chine a connu d’autres maîtres que Confucius. Elle a eu ses métaphysiciens, ses mystiques, qui prêchaient le mépris des choses d’ici-bas, le détachement, la retraite, le repos et le silence. Ils lui enseignèrent que les réalités sont de vaines apparences, l’ombre d’un songe, que rien n’existe que ce qui n’est pas : « J’ai rêvé un jour, moi, Chwang-Chau, que j’étais un papillon, qui voltigeait de fleur en fleur et prenait plaisir à ses ébats. Je m’éveillai et redevins moi-même. Que faut-il croire ? Chwang-Chau a-t-il rêvé qu’il était un papillon ou ne suis-je qu’un papillon qui rêve qu’il est Chwang-Chau ? Je ne saurais le dire. » Ces rêveries n’ont qu’une importance littéraire ; ce sont des jeux d’esprit, dont le Chinois peut s’amuser dans ses heures de loisir, mais qui n’influent en rien sur sa conduite et sur sa vie. Il croit fermement aux réalités de ce monde ; vous ne lui persuaderez jamais qu’il n’est qu’un papillon qui rêve ! Il se défie des raisonnemens abstrus, la raison spéculative et critique l’intéresse peu, il n’a souci que de la raison pratique.

Cependant il est des jours où la sagesse de Confucius lui paraît un peu maigre, un peu grise, et s’il a du goût pour les sentences, il a un penchant marqué pour les superstitions qui troublent ou embellissent la vie. Il croit à des puissances occultes, avec lesquelles il faut se mettre en règle ; il estime que le Feng-Shui ou l’art de se faire obéir des

  1. Chinese characteristics, by Arthur H. Smith.