Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LE BESOIN DE CROIRE[1]

Messieurs ; — le sujet dont je voudrais vous entretenir ce soir étant aussi délicat que complexe, vous me permettrez, avant tout, de le bien délimiter et de le préciser. Ce n’est en effet ni de l’obligation ni de l’utilité, mais uniquement du besoin de croire que je vais vous parler. L’utilité de croire est évidente, étant ce que nous sommes ; et, pour n’en prendre qu’un exemple, demandez-vous ce qu’il adviendrait de l’humanité, si, conformément au précepte cartésien, chacun de nous ne voulait « admettre pour vrai que ce qu’il connaîtrait évidemment être tel ? » L’obligation de croire est impérieuse ; et aucun de nous, — j’aurai, chemin faisant, l’occasion de vous le montrer, — ne s’y soustrait qu’à son pire détriment. Cependant, tout impérieuse ou tout impérative qu’elle soit, nous pouvons nous y dérober, comme nous le faisons malheureusement à tant d’autres obligations ; et nous avons aussi toujours le droit ou le pouvoir, pour mieux dire, de négliger de faire ce qui nous serait le plus utile. Mais ce que je voudrais vous montrer, et, dans le temps où nous vivons, ce qu’il me paraît intéressant de bien établir, c’est que l’obligation elle-même ou l’utilité de croire se fondent sur l’existence d’un besoin essentiel de notre nature ; — que ce besoin de croire, impliqué dans la définition même de l’homme, l’est également dans toute sa conduite et jusque dans les opérations de son intelligence ; — et c’est enfin que la reconnaissance ou l’aveu de ce besoin de croire est l’une des affirmations les plus positives, des vérités les plus certaines, et des espérances les plus

  1. Conférence prononcée à Besançon, le 19 novembre 1898, à l’occasion du 8e Congrès de la Jeunesse Catholique, tenu sous la présidence d’honneur de Mgr Petit, archevêque de Besançon.
    Le discours de clôture a été prononcé le lendemain, 20 novembre, par M. le Comte Albert de Mun, dont il serait inutile, et même impertinent, de louer l’éloquence. Mais, si je n’avais pas eu des raisons personnelles de voir dans l’Individualisme, — disons dans l’excès de l’individualisme, — la source des pires maux dont nous souffrions, M. de Mun m’en aurait donné d’excellentes, et en attendant que je revienne sur ce point, je tenais à le dire et à en remercier le grand orateur.