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LA LANGUE DE MOLIÈRE

« Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon et d’écrire purement » : ainsi s’exprimait La Bruyère, en 1689, quinze ou seize ans après la mort de Molière ; et, — si l’on fait attention quelles étaient alors les fréquentations du maître d’histoire du duc de Bourbon, Malézieu, Boileau, Racine, Bossuet, Fénelon peut-être, — ce jugement si sévère ne doit pas être considéré comme le sien seulement, mais comme celui de tout un petit cercle de délicats. Quelques années plus tard, en 1697, dans l’article POQUELIN de son grand Dictionnaire, Bayle disait, de son côté, qui était le côté de Hollande : « Il (Molière) avait une facilité incroyable à faire des vers, mais il se donnait trop de liberté d’inventer de nouveaux termes et de nouvelles expressions : il lui échappait même fort souvent des barbarismes. » Et, en 1713 enfin, dans sa Lettre sur les Occupations de l’Académie française, Fénelon, un Fénelon désabusé pourtant et détaché de bien des choses, mais non pas de celles de l’esprit, enchérissant sur La Bruyère et sur Bayle, disait à son tour : « Encore une fois je le trouve grand, — c’est toujours Molière, — mais ne puis-je pas parler en toute liberté sur ses défauts ? En pensant bien il parle souvent mal ; il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. Térence dit en quatre mots, avec la plus élégante simplicité, ce que celui-ci ne dit qu’avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias. J’aime bien mieux sa prose que ses vers. Par exemple l’Avare est moins mal écrit que les pièces qui sont en vers… Mais en général, il me paraît, jusque dans sa prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions. » Ces citations peuvent suffire ; et, n’ayant point d’ailleurs souvenance que