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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/880

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Or, après un faux pas de son humble monture,
Marie ayant gémi, l’homme étendit le bras
Et, lui montrant au fond des ténèbres, là-bas,
Une faible lumière, il dit :
« Voici l’auberge. »

O femme douloureuse ! ô mère ! ô Sainte Vierge !
Il te faudrait un lit, une chambre et du feu.
Mais nul ne sait qu’en toi tu portes l’Homme-Dieu.
Dont bientôt l’univers chantera les louanges.
Le secret n’est connu que de vous et des anges,
Pauvre et timide couple arrêté sur le seuil !

L’aubergiste n’a pas son air de bon accueil.
Ce bonhomme à bâton, cette femme sur l’âne,
Il les juge d’un seul regard et les condamne.
Mendians, vagabonds, qui sait ? peut-être pis.
Du reste, aux alentours, les chameaux accroupis
Et les mulets tapant du pied dans l’écurie
Prouvent qu’une cohue est à l’hôtellerie ;
Et, dans la salle basse où l’âtre flambe et luit,
On entend chanter, rire, et parler à grand bruit
Les marchands à qui sont ces animaux de charge.

« Pas de place pour vous, dit l’hôtelier, au large !
Tout est plein, bonnes gens. Au large ! »
Mais, tout bas,
Il grogne entre ses dents :
« Ce n’est point, en tous cas,
Pour ces gueux que ma table et mes chambres sont faites. »

O Messie annoncé par la voix des Prophètes,
Christ que le monde attend et qui viens le sauver,
Je t’adore à genoux. Quoi ? Tu veux éprouver,
Dieu de paix, de bonté, de douceur, d’innocence,
La dureté des cœurs même avant ta naissance.
Toi qui pourrais, aux cieux ouverts et fulgurans,
Paraître et triompher, tu veux que tes parens
Soient outragés au seuil de cette hôtellerie,
Et tu permets, Seigneur, que ta mère Marie,