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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/961

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des quatre puissances, y a joué un rôle important. C’est elle qui a proposé une démarche décisive auprès de la Porte, pour lui demander formellement que l’Ile fût confiée aux puissances et que les autorités ottomanes, aussi bien que les troupes turques, en fussent retirées dans un bref délai. La proposition, bien accueillie à Paris, à Saint-Pétersbourg et à Londres, a été exécutée avec une grande énergie. La Porte a usé de tous les moyens dilatoires qui étaient en son pouvoir ; elle a présenté toutes les objections et toutes les contre-propositions que pouvait inventer la diplomatie la plus subtile ; elle a demandé finalement que quelques troupes turques restassent dans quelques villes de la côte pour y servir de symbole à la souveraineté ottomane. Les puissances y auraient peut-être consenti si M. Delcassé n’avait pas émis une opinion défavorable. On a accordé à la Porte un drapeau, rien de plus, et, en somme, on a eu raison. Les dépêches des amiraux et les rapports de nos agens ne cessaient de répéter que, si l’on voulait le rétablissement de l’ordre, on ne l’obtiendrait que par une solution radicale. L’assemblée crétoise promettait une pacification immédiate, si les derniers soldats turcs disparaissaient ; mais, dans le cas contraire, il ne fallait pas y compter. L’assemblée tiendra-t-elle sa promesse, maintenant que ses désirs sont accomplis ? Les premières apparences le font croire. L’enthousiasme aujourd’hui est immense. Le Comité exécutif a lancé une proclamation qui ordonne le désarmement de toute la population chrétienne, déclare que les chrétiens n’ont plus aucun droit de détenir les propriétés des musulmans dans l’intérieur du pays, et leur recommande de traiter désormais ces musulmans en frères. Le mouvement est si beau qu’on se demande s’il durera. En tout cas, il serait bon que le prince se rendît dans l’île sans retard, afin de profiter de ces premières impressions, qui sont excellentes. Il sera admirablement accueilli à La Canée ; il trouvera autour de lui un empressement général ; chacun s’appliquera à l’aider dans sa tâche, mais cette tâche reste lourde, et il est à prévoir qu’après le premier épanchement de la joie populaire, d’autres difficultés reparaîtront.

On dira peut-être qu’il y a quelque chose de merveilleux dans les facilités que rencontre cette solution, et que l’événement donne un démenti aux craintes exprimées autrefois par la diplomatie européenne, lorsqu’elle a fait obstacle au débarquement du prince Georges en Crète et à la prise de possession de l’île par les troupes grecques. Mais tout est affaire d’occasion et d’opportunité. Ce qui est vrai un jour ne l’est plus le lendemain : l’art de la politique est de savoir