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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/548

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IV. — LES PROLÉGOMÈNES DE L’ALLIANCE ET L’ENTREVUE DE PLOMBIÈRES

Le comte de Cavour avait maintenant le vent en poupe. L’Empereur qui, sous une forme cabalistique, venait de lui laisser entrevoir ses desseins, ne devait pas tarder à lui révéler sa pensée tout entière. Dans le courant d’avril, un familier du Palais-Royal, M. Bixio. remit, dit-on, à la légation de Sardaigne, très mystérieusement, tout un plan d’alliance entre la France et le Piémont, dirigé contre l’Autriche et la condamnant à disparaître de la péninsule pour faire place à une confédération italienne. Le prix de l’alliance française qui assurait ainsi la Lombardie au Piémont était stipulé ; mais il sortait du domaine de la politique : c’était la main de la fille du roi Victor-Emmanuel donnée au prince Napoléon-Jérôme. Le drame italien, à l’encontre des comédies, devait débuter par un mariage.

La réalité se substituait aux conjectures ; on se trouvait, cette fois, en face d’ouvertures formelles. M. de Cavour voulut en avoir le cœur net ; il s’empressa de répondre à la mystérieuse communication. Il envoya à Paris un secrétaire de son cabinet, qu’il avait lui-même stylé pour en faire l’agent intime de sa politique extérieure. Ce furent les premiers pas de M. Constantin Nigra dans la carrière diplomatique. Il débuta dans l’ombre, inconnu de tous, avant d’apparaître subitement, sans passé appréciable, au grand jour et au premier rang. Son tact, le charme de sa personne, son savoir, la rectitude et la promptitude de son jugement l’avaient désigné au choix de son chef ; ses brillantes qualités devaient lui assurer la faveur inaltérable de l’Empereur et de l’Impératrice. À tous ses mérites extérieurs, faits pour plaire et séduire, M. Nigra ajoutait l’art de rester maître de sa parole et de provoquer des confidences sans livrer son secret. Accrédité officiellement aux Tuileries et familièrement au Palais-Royal, dont les diapasons étaient rarement d’accord ; mêlé aux affaires les plus délicates dans les momens les plus critiques ; obligé d’interpréter parfois une politique pleine de réticences, il eut la rare fortune ou l’extrême habileté de ne jamais se compromettre. Son action diplomatique a été souvent discutée par notre patriotisme déçu, mais la sincérité de ses sympathies personnelles pour la France n’a jamais été mise en question.

M. Nigra revint à Turin, convaincu qu’on était tout disposé