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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/632

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aboutir au désastre de Wurtzbourg ; mais déjà rien ne lui restait plus du bel optimisme dont nous l’avons vu animé au début de la campagne. « Nous marchons lentement, écrivait-il en septembre, défendant le terrain pied à pied par une chaleur affreuse. Le pays est difficile, l’ennemi est supérieur en nombre et a l’avantage de manœuvrer dans une contrée qui lui est connue. Après mille fatigues et marches périlleuses, sans vivres d’aucune sorte, nous sommes épuisés. Nous passons les journées à nous battre et les nuits en marche… À Wurtzbourg, mon domestique a été pris avec mes effets et mes chevaux. Il ne me reste plus rien, et nous sommes tous dans le même état de dénûment absolu et d’épuisement complet. »

Il ne fallut pas moins que sa promotion au grade de lieutenant, le 24 décembre 1796, pour rendre au jeune homme un peu de son ardeur. Il était fatigué, souffrant, anéanti, et la tristesse que lui avaient causée les revers de l’armée s’avivait encore au spectacle de l’irritation et du découragement de Kléber. Celui-ci ne se consolait pas d’avoir vu les plans de Jourdan préférés aux siens, et d’avoir dû assister à une retraite qu’il s’imaginait toujours qu’il aurait pu empêcher. Quand Beurnonville, après la bataille de Wurtzbourg, remplaça Jourdan à la tête de l’armée de Sambre-et-Meuse, il eut grand’peine à obtenir de Kléber qu’il restât près de lui jusqu’au jour où sa démission serait acceptée du ministre. La démission fut acceptée en mars, et Kléber quitta aussitôt l’armée.

« Je vais à Colmar en congé, écrivait Antoine de Reiset dans les premiers jours d’avril. J’attends prochainement Kléber, qui m’a promis de venir de Strasbourg pour quelques jours à Colmar pour voir ma famille. Mon ami me décidera sur ce que je dois faire. »

Nous avons indiqué déjà le tendre motif qui attirait Kléber dans la maison des Reiset : Anne de Reiset, la sœur aînée de Marie-Antoine, ou plutôt de Tony, comme on le nommait familièrement, était alors une jeune fille de vingt ans, dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté. Le jeune général, durant son séjour à Colmar, n’avait pu la voir dans les quelques salons restés entr’ouverts sans en devenir amoureux, et il avait tout lieu de croire que ses sentimens étaient partagés. Au moment de se quitter, les deux jeunes gens avaient en secret échangé des aveux et des promesses, et, après quelques mois d’absence, il avait hâte de venir