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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/655

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Alors, dans le jardinet de la veuve Myriam, demeurés seuls en face l’un de l’autre, les jeunes gens se contemplent silencieux, oppressés par l’excès du bonheur. Appuyée contre un noir cyprès, Lygie incline son pâle visage, ainsi qu’une blanche fleur sous l’ombre. Son sein virginal palpite, ses longs cils voilent l’éclat de ses yeux baissés. Au milieu de cette paix radieuse épandue des profonds azurs, ils entendaient les battemens précipités de leurs cœurs ; leur mutuelle extase transformait ce cyprès, ces buissons de myrte, ces rosiers, ce lierre, en une sorte d’Éden enchanté, eux-mêmes si rayonnans de jeunesse et de beauté, qu’on les eût pris pour l’image de ce printemps, et des fleurs qu’il a fait éclore.


Mais de terribles épreuves les attendaient encore, avant qu’il leur fût permis de goûter cette plénitude du bonheur d’aimer, que la bénédiction de Pierre leur avait assurée dans ce monde et dans l’autre. Chillon, le Grec éhonté et lâche, trahit les amoureux et livre leur secret à César. D’ailleurs, Poppée, dont Vinicius a osé dédaigner les faveurs, en vraie fille de sa race, et selon le vieux précepte : « Œil pour œil, dent pour dent, » ne rêve plus que vengeance. Et puis, ne fallait-il pas apaiser la colère du peuple, devant les ruines fumantes de la ville incendiée ? L’horrible crime une fois imputé aux chrétiens, les prisons s’emplissent, les hécatombes humaines s’amoncellent au fond des arènes. La nuit, les jardins du Palatin flamboient à la lueur de milliers de torches vivantes. Furieux d’avoir été joué, Néron réservait un supplice spécial pour Lygie. De la prison Mamertine, on l’avait transportée aux horribles geôles de l’Esquilin : et l’on vit alors, — prodige de l’amour et de la foi, — Vinicius, ce tribun, cet orgueil de Rome, parvenir, à prix d’or, sous l’infâme déguisement d’un fossoyeur, jusqu’à l’immonde cachot, où s’étiolait cette fleur de beauté, de grâce et de vertu. Brûlant d’un saint amour pour le Dieu crucifié, lui aussi s’était écrié :


Je vois, je sais, je crois, je suis désabusé !


Le prince des apôtres a fait couler l’onde du baptême sur son front. Oh ! qu’il s’estimerait heureux de pouvoir mourir pour le Christ, lui qu’on a laissé libre, et de mourir en sauvant la bien-aimée !


« Maître, dit-il, s’il est besoin du sang des justes, afin de faire triompher la foi, demandez au Seigneur qu’il prenne le mien en échange… Puissé-je endurer les plus atroces souffrances, mais la voir épargnée !