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surtout qu’elle ait proposé de donner toutes ses places au duc de Nouilles. Sans compter qu’une démarche aussi ouverte aurait eu quelque chose de singulièrement contraire à ses habitudes de circonspection et de mesure, il ne semble pas qu’elle ait été animée contre la personne de Beauvillier de sentimens aussi hostiles. Toutes les fois, durant les années 1697 et 1698, que ce nom revient sous sa plume, il est toujours mentionné avec une affectueuse estime. On sent qu’elle respecte l’homme et qu’elle regrette l’ami : « Je ne doute point, dit-elle dans une lettre du 30 juin 1698, que M. de Beauvillier ne soit fâché de me perdre. J’avais de l’amitié pour lui et je crois qu’il en avait pour moi ; » et dans une autre lettre (7 août 1898) : « J’ai voulu voir M. de Beauvillier pour nous affliger ensemble. Je suis très édifiée de tout ce que je vis en lui[1]. » Il y eut donc entre eux refroidissement, mais jamais rupture, et la tentative faite pour le « débusquer, » surtout pour faire arriver en son lieu et place le duc de Noailles, nous paraît devoir être portée au compte déjà long des calomnies de Saint-Simon.

Peu importe, au reste, à notre sujet le rôle joué par Mme de Maintenon. Ce que nous voulons mettre en lumière, c’est l’admirable attitude de Beauvillier durant la crise. Il y a sur lui, dans Saint-Simon, une belle page que nous ne pouvons résister au désir de rappeler, si connue qu’elle soit, pour montrer toute la hauteur d’âme de celui qui fut, tout autant que Fénelon, non pas seulement le maître, mais l’ami du duc de Bourgogne. On comprend, après avoir relu cette page, qu’un auteur étranger ait pu écrire tout récemment : « Il est des êtres dont la vertu sort à certains momens avec un bruit de portes qu’on ouvre ou qu’on ferme. Il en est d’autres chez qui elle demeure comme une servante silencieuse qui ne quitte pas la maison ; et ceux qui viennent du dehors et qui ont froid la trouvent toujours, laborieuse et attentive, au coin de leur feu[2]. »

Saint-Simon avait donc entrepris d’ouvrir les yeux à Beauvillier sur le péril qui le menaçait. Il lui représenta l’hostilité de Mme de Maintenon, l’ébranlement du Roi, et le pressa d’avoir moins d’attachement, au moins en apparence, pour ce qui l’exposait si fort, de montrer plus de complaisance et de parler au Roi. « Il fut inébranlable, continue Saint-Simon. Il me répondit sans la moindre

  1. Correspondance générale, t. IV, p. 237 et 245.
  2. Mæterlinck, la Sagesse et la Destinée, p. 254.