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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/122

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à fait isolée en Extrême-Orient. Toutefois le ressentiment contre la Russie était si fort, et les intérêts des deux puissances insulaires, Tune et l’autre effrayées des progrès des Russes et partisans de la liberté commerciale en Chine, si connexes, qu’un rapprochement naturel en résulta bientôt.

L’intervention de ce qu’on appela en Extrême-Orient « la nouvelle Triple Alliance » n’eut pas des effets moins graves et moins durables que la guerre elle-même. Ses conséquences immédiates ont dominé toute la politique de l’Extrême-Orient jusqu’à la fin de 1897, et d’autres dureront bien plus longtemps encore. Les traits essentiels de la situation nouvelle furent la substitution en Chine de l’influence russe, devenue désormais toute-puissante, à l’influence anglaise ; l’antagonisme entre la Russie et le Japon ; et le rapprochement de ce dernier avec l’Angleterre. Les mandarins et la cour de Pékin, tout en n’abdiquant rien de leur orgueil, de leur foi en la supériorité de leur civilisation, avaient cependant été convaincus par la guerre de l’irrémédiable faiblesse militaire du Céleste-Empire. Si la plupart ne tenaient guère à la Chine parce que c’était leur patrie, ils y tenaient du moins parce que c’était leur bien. Contre les Japonais qui voulaient le leur prendre, il leur fallait un protecteur : ils l’allèrent chercher de légation en légation ; la situation ne leur permettait ni de choisir leurs amis, ni d’en discuter les exigences ; trouvant la Russie bien disposée, ils l’acceptèrent. S’ils ne se dissimulaient pas qu’ils risquaient de se donner un maître, ils gagnaient toujours du temps et ils comptaient sur leur habileté pour jouer au besoin d’une puissance contre l’autre ; puis ils nourrissaient peut-être moins de préventions contre l’empire moscovite que contre aucun autre pays européen.

Diverses circonstances font qu’il y a beaucoup moins sujet à froissemens et à réclamations dans les relations de la Chine avec la Russie que dans ses rapports avec les autres puissances : les Russes abordent le Céleste-Empire par ses frontières de terre, qu’habitent des populations clairsemées, de race non chinoise et peu hostiles en somme aux étrangers, tandis que les autres Européens, venant par mer, sont en contact direct avec les multitudes turbulentes des grands ports, au milieu desquelles la moindre imprudence peut soulever de graves incidens. D’ailleurs, les sujets du Tsar se montrent beaucoup moins prépotens que les Occidentaux : ils n’ont pas le mépris inné et affiché de l’homme de