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la barbarie turque. Par-là nous nous séparions de l’Angleterre, sans nous unir à la Russie. Sa prétention de devenir, au nom du panslavisme, l’héritier nécessaire et universel de l’Islam offensait la sincérité de notre respect pour les autonomies nationales. Son droit sur les races slaves de ta Turquie était le même qu’elle avait exercé sur la Pologne, qu’elle pouvait prétendre sur la Bohême ou la Dalmatie, le même qu’au nom de la race latine, l’idée nous viendrait de revendiquer sur l’Italie et l’Espagne. Servir la cause des nationalités, ce n’était pas, selon nous, étouffer tous les peuples d’une race sous le peuple le plus puissant de cette race, c’était rendre à chacun de ces peuples, divers par l’histoire, le langage, le caractère, les ressources, et confondus seulement par la communauté de leur défaite et de leur abjection, la conscience de leur autonomie. S’il y eut en ce siècle une politique particulière à la France en face du problème oriental, cette politique fut la transformation de la servitude en vassalité pour les peuples chrétiens soumis à la Turquie. Notre diplomatie comptait, par des émancipations distinctes et successives, ranimer dans chacun de ces foyers la chaleur d’une vie propre, le culte d’une petite patrie ; par la persistance d’un lien politique entre leurs jeunes indépendances et leur vieux maître, conserver sur elles ces droits qui nous avaient été reconnus par lui ; enfin combattre l’attraction qui solliciterait peut-être, si elles étaient tout à fait libres, leurs masses minuscules vers l’immense Russie. Mais, quand l’un ou l’autre de ces peuples, au nom des souffrances subies, ou de la sagesse acquise dans sa demi-indépendance, se refusait à toute vassalité envers un maître de civilisation inférieure, se levait, demandant ou la mort à son bourreau séculaire, ou à l’Europe le droit de vivre libre, la France oubliait son propre intérêt pour consacrer ce droit. Ainsi, dès 1828, elle assurait par les armes l’indépendance de la Grèce, et au cours du siècle favorisait celle du Monténégro, de la Roumanie, de la Serbie, de la Bulgarie, malgré l’amoindrissement ainsi apporté à l’Empire qu’elle eût voulu maintenir intact. Bien plus, elle le démembrait elle-même, en même temps qu’elle le protégeait. En 1830, Alger, repaire d’incorrigibles pirates, bravait à la fois l’Europe, sa victime, et son suzerain nominal, le Sultan : la France avait abattu la puissance des deys, et conservé leur domaine. Un peu plus tard, elle reconnaissait qu’en Égypte le régime turc était l’obstacle à la civilisation du pays, et pour affermir là l’influence française elle avait poussé Méhémet-Ali à