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d’outre-Rhin envoie solliciter, par des voyages réguliers, la clientèle étrangère, ou même qu’elle entretient, en permanence sur les grandes places de commerce. La patience à s’enquérir, et l’aptitude à ne dédaigner aucun indice, donnent à ces mandataires toutes les chances de connaître sans erreurs l’état mobile de chaque marché et la solvabilité de chaque marchand. Quand les transactions peuvent être tentées sans imprudence, ils ne sont pas moins aptes à les nouer. Un esprit naturel de soumission prédispose les Allemands à accepter les volontés d’autrui, à servir les goûts de chacun, et ce goût universel qu’ont les hommes d’être prévenus et sollicités. L’assiduité des offres, la modestie de l’attitude, un air d’aimer le client pour lui-même, de tenir ses commandes à honneur autant qu’à profit, tout sert ces visiteurs toujours satisfaits, contens s’il achète beaucoup, contens s’il achète peu, contens s’il n’achète rien, et qui, s’il leur dit : Ne revenez pas, sortent en répondant : A bientôt.

Ces procédés de préparation méthodique et d’activité persévérante sont, avec plus ou moins de perfection, ceux de tous les jeunes peuples qui veulent s’enrichir. Le Levant était un pays fait pour attirer leurs ambitions. Comme la nature féconde y travaille plus que l’homme, cette contrée abonde en matières premières. Comme elle manque d’industrie, elle fait venir du dehors les produits qui exigent un outillage puissant et un labeur compliqué. Les habiles ont donc chance de trouver là double profit et de restituer à la Turquie, en marchandises fabriquées, autant et plus qu’ils lui empruntent en matières brutes. Ce gain semblait d’avance promis à certains peuples. Les petits États qui, sur les Balkans et le Danube, ont été longtemps possédés par la Turquie et la touchent, se trouvent, par le voisinage des lieux, des habitudes et des langues, aptes à entreprendre avec elle les opérations simples du commerce. La Russie, non seulement s’avance de frontière en frontière, comme d’étape en étape, sur le territoire turc, mais le Bosphore est pour elle la voie nécessaire d’accès vers le reste du monde : même pour ses rapports avec les autres peuples, elle pénètre et traverse sans cesse l’empire ottoman, Constantinople, et trouve d’incomparables facilités à saisir les occasions, les clientèles et les frets. Les Italiens et les Grecs, jaloux de ressusciter, les uns Sparte et Athènes, les autres Rome, tentent de réaliser, par le développement de leur commerce, le moins chimérique de leurs songes ; pour les porter vers l’Orient, ils ont la