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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/239

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au hasard de l’aventure, sans même savoir où. La prodigieuse impuissance de cet effort mal combiné désarme la sévérité.

Toutefois le gouvernement a eu raison de maintenir les arrestations faites, et de demander à la Chambre l’autorisation de poursuivre trois députés. Il ne faut pas jouer avec la loi plus qu’avec le feu. À côté de ces manifestations un peu ridicules, d’autres, plus sérieuses, pourraient se former. Une faiblesse, aujourd’hui, condamnerait demain à un déploiement d’énergie qui, peut-être, coûterait cher. Principiis obsta. C’est à l’origine d’un mouvement qu’il faut placer l’obstacle infranchissable. Il importe que, dès le premier jour, M. Loubet ne permette pas de croire qu’on peut violer en sa personne la constitution dont il a la garde et les lois tutélaires de l’ordre public.

On dit couramment que la Présidence de la République n’est rien, qu’elle n’a aucune autorité propre, qu’elle n’a qu’une valeur représentative et décorative ; et d’autre part, on attaque celui qui en est investi comme si son opinion, qu’on interprète dans un sens ou dans l’autre, pouvait être un élément de danger ou un principe de salut. Si les uns n’en attendent rien, les autres en attendent tout. Un sentiment très répandu aujourd’hui dans les classes les plus éclairées du pays voudrait que l’institution reprît une existence plus forte et exerçât une action plus intense : en même temps, le choix du Congrès s’est porté sur M. Loubet, parce que les circonstances l’avaient démarqué comme homme de parti, et qu’on connaissait assez peu sa manière de voir pour que chacun pût lui prêter la sienne avec quelque chance d’être cru sur parole. Nous vivons dans un monde composé d’antinomies singulières ! Il faut bien reconnaître, pourtant, que la Présidence est, ou du moins qu’elle pourrait être quelque chose, puisque les regards convergent sur elle, avec ardeur, avec passion. Tout le monde espère quelque chose du Président de la République, les uns en bien, les autres en mal : il n’est indifférent à personne. On ne se disputerait pas autour du fauteuil qu’il occupe, si dans l’opinion commune, c’était un siège naturellement destiné au repos. Nous sommes de ceux qui croient que, s’il est homme de caractère, le Président de la République peut faire beaucoup, et que, plus il fera, plus il aura le pays avec lui. Mais nous ne tomberons pas dans le travers de prêter nos propres sentimens à M. Loubet. Quelles ont été ses réflexions, à quelles méditations s’est-il livré, à quelles conclusions a-t-il pu arriver, pendant qu’il occupait silencieusement la présidence du Sénat ? Croit-il qu’il n’y a rien de plus à faire que ce qu’ont fait ses devanciers, ou comprend-il ses fonctions autrement qu’eux ? Nous le saurons un jour : pour le mo-