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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/342

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règne la mauvaise humeur. » M. de Beust avait un moyen bien simple d’échapper à cet ennui : c’était de ne pas venir à Paris ou de ne pas s’y arrêter. L’Empereur le reçut dans son cabinet ; le voyant arriver en grand uniforme, chamarré de décorations, il s’excusa de le recevoir ou redingote, sans cérémonie. « Vous venez du reste en ennemi, lui dit-il ; il me semble (permettez-moi de vous en faire l’observation) que les gouvernemens allemands de second ordre se prêtent dans tout ceci à un rôle de dupes. Je crois savoir qu’on ne soulève les passions dans la Confédération germanique contre la France, qu’avec l’espoir et la certitude d’en finir cette fois avec les cours allemandes. »

Le mot de dupe était dur ; l’Empereur eut à le regretter. Son interlocuteur, pour se laver d’un tel reproche, se lança dans d’interminables dissertations sur la Diète, sur ses rouages, ses tendances ; il revint sur son attitude pendant la guerre d’Orient, et, de déductions en déductions, en arriva à conclure que l’article 47 du pacte fédéral imposait à la Confédération le devoir de défendre l’Autriche, si elle était l’objet d’une agression. L’Empereur parut écouter ces explications avec un calme parfait, sans chercher à les réfuter : « Rassurez-vous, dit-il, quand le ministre saxon fut à bout d’éloquence, nous aurons soin de désintéresser l’Allemagne de la lutte, en évitant ses frontières. — C’est un engagement illusoire, répondit M. de Beust, car la France ne peut pas calculer d’avance les chances et les limites de la guerre. — Ainsi, vous croyez la neutralité impossible ? — Je crois que, si la guerre éclate, il sera impossible à l’Allemagne de n’y être pas engagée. — Mais savez-vous que l’attitude de l’Allemagne commence à devenir inquiétante pour l’Europe ? On ne peut plus faire un pas, ni s’intéresser à une question quelconque, sans la trouver sur son chemin. D’un côté, vous menacez le Danemark, de l’autre, l’Autriche étend ses bras jusqu’à Naples, et là encore vous êtes avec elle. J’espère, ajouta l’Empereur en le congédiant, vous revoir, mais non pas en ennemi ! »

Ils se revirent, en effet, au lendemain de Sadowa, au mois de juillet 1866, et à Salzbourg, en 1867, s’efforçant de réparer des fautes irréparables.

A Londres, M. de Beust se sentit plus à l’aise ; les passions qui s’agitaient en Angleterre répondaient aux siennes. Il constata avec satisfaction qu’à la cour de Windsor, on était infiniment mieux disposé pour l’Autriche que pour la France.