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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/366

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blanche, qui ballottait. Ses cheveux bouclés lui tombaient aux épaules et encadraient une figure de bronze clair délicieusement ovale. Son âme semblait voltiger sur l’émail éclatant de son sourire ; elle avait des yeux noisette, des yeux plus âgés qu’elle, des yeux d’innocente comédienne. Elle était catholique, elle aussi, et mettait au service de sa foi ses œillades les plus ensorcelantes. « Comment t’appelles-tu ? — Maggie. — Quel âge as-tu ? — Douze ans. » Et elle ajouta en anglais : « Je vous conduirai partout où il vous plaira, aujourd’hui, demain et les autres jours. » Quand elle comprit que nous ne la renverrions pas, elle s’installa sur le marchepied et demeura, la tête levée, attentive à nos moindres regards. De temps en temps, elle écartait de la main ses cheveux que le mouvement de la voiture ramenait sur son visage. Si des gamins nous poursuivaient, elle leur criait dans sa langue : « Allez-vous-en ! On ne veut pas de vous. Allez-vous-en ! » Et elle riait en coulant vers nous des yeux dont les bayadères eussent jalousé la langueur et la caresse. « Eh bien ! Maggie, petite Maggie, tu seras notre guide et notre truchement. Montre-nous Colombo. »

Jusqu’ici je n’ai vu que des boutiques de juifs ou de mahométans ; d’énormes magasins anglais sans apparence, mais qui vendent tout ce qu’on peut vendre ; des banques en bois où les comptables indigènes travaillent sous le balancement de longs et sales pankas suspendus au-dessus de leurs têtes comme des frises de théâtre. Je ne suis point venu de si loin pour admirer des casernes, des préfectures, des hôtels, ni même le palais des Postes et Télégraphes. Les vieux bastions espagnols ou portugais, qui donnaient à la face meurtrie des conquêtes asiatiques un masque de féodalité européenne, ont cédé la place aux caravansérails confortables dont il semble que le type soit réalisé sur notre Côte d’Azur. On peut faire aujourd’hui le tour du monde et se croire toujours à Monte-Carlo. C’est le triomphe de l’architecture monégasque. « Maggie, conduis-nous dans la ville indigène ! » Et Maggie, qui sent toute l’importance de son rôle, nous a demandé la permission de s’asseoir près du cocher.

Nos haridelles, coiffées de chapeaux de paille qu’on dirait empruntés à l’Armée du Salut, suivent une large route entre des prairies et le rivage de la mer. Au bout de cette promenade découverte, un grand hôtel, le Galle face, détache sur un fond de verdure sa façade de briques roses où s’enchâssent les énormes diamans de ses fenêtres embrasées. Nous tournons à droite et