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du pouvoir britannique, il revient à Ceylan désireux d’agir et d’entreprendre, sous le bénéfice des libertés anglaises, l’affranchissement de ses concitoyens ou plutôt leur éducation civique. Il ne nourrit aucun projet d’insurrection. Les révoltes ne profitent qu’aux sujets déjà mûrs pour se gouverner. D’ailleurs, les Anglais administrent sagement et n’usent qu’avec modération de leur droit de conquête. Le souvenir de leurs atrocités et des palais ensanglantés ne tyrannise point sa mémoire. Son hérédité hindoue envisage ces massacres qui déshonorent notre civilisation comme des accidens prévus et sur lesquels il ne convient pas d’arrêter sa pensée. Notre jeune homme aspire bien moins à en tirer vengeance qu’à remonter au rang dont l’invasion étrangère l’a fait déchoir. S’il renonce aux honneurs de ses ancêtres et aux magnifiques loisirs de l’état de prince, il rêve d’emprunter à ses maîtres leurs armes de précision pour leur disputer légalement l’influence et la richesse. Puisque la moitié du monde appartient aux avocats et l’autre aux industriels, il s’exercera dans l’art de la parole et le maniement des codes, et ses capitaux s’orienteront décidément vers les maisons de banque et les cheminées d’usine. L’île n’est pas encore exploitée : elle recèle des mines de plomb, peut-être d’argent ; et Simbad le Marin ne l’a pas dévalisée de tous ses rubis ni de toutes ses pierres précieuses. La domination anglaise ne sera pas éternelle ; et le jeune héritier des vieux adorateurs de Siva ne souffre point d’une tutelle dont sa philosophie aperçoit déjà le terme au cours des siècles, C’est ainsi que j’imagine le jeune homme des hautes classes de Ceylan, celui qui compte des princes ou des rois parmi ses aïeux, quand, après avoir aspiré l’air de l’Europe, il remet le pied sur sa terre d’origine.

Là, que fera-t-il ? Il entrera au Conseil législatif ; il jouera son rôle dans l’Association nationale composée d’indigènes qui se réunissent environ une fois par mois et transmettent au gouverneur des vœux touchant l’intérêt du pays ; il se donnera l’illusion de cette vie publique qui l’enthousiasmait du temps qu’il parcourait l’Europe. Mais, député ou délégué de Ceylan, il ne représentera jamais qu’une caste étrangère aux autres castes. Je n’ignore point que ces castes se sont multipliées et se multiplient encore, ce qui est excellent, car c’est le seul moyen qu’elles aient de se détruire. Elles dégénèrent heureusement en corporations. Il n’avait pas tout à fait tort, le Cynghalais qui me disait : « Nous aurons bientôt réalisé l’idéal des temps modernes. Les castes,