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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/400

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rangées de colliers élargies sur leur poitrine délicate, et la chaste souplesse de leur déhanchement, soulèvent à la hauteur de l’épaule un vase mystérieux dans la paume d’une main, et de l’autre étreignent, légèrement penchés vers elle, une tige qui jaillit de la pierre, s’élance, se recourbe et s’épanouit en ciselures merveilleuses. Le naga qui les auréole de ses capuchons forme derrière leur tête comme une grande coquille de Saint-Jacques. A leurs pieds, deux nains ventrus et couverts de bijoux s’égayent eux-mêmes de leurs contorsions. Et ces nains, on les retrouve partout, comme la trompe de l’éléphant, le lotus et le cobra, sur les contremarches des escaliers, la frise des autels, les brûle-parfums et les chapiteaux qui jonchent la terrasse.

Là s’organisaient jadis les processions. Elles descendaient l’escalier et franchissaient la porte ouverte du côté de l’Orient. Le soleil vertical prêtait une vie torride à ce peuple pétrifié de rois, de prêtres, de nains, d’éléphans, de lions, de reptiles, et concentrait toute sa splendeur sur les flancs arrondis de la dagoba. La lourde masse devenait alors comme le centre de la flamme inextinguible ; elle absorbait en elle le feu qui dévore les mondes et sur la foule impuissante à la fixer dardait une ivresse brûlante et d’autant plus sacrée que ses millions de briques recouvraient un trésor de pierres précieuses et une relique de Bouddha. D’ailleurs, toute la ville, qui s’étendait, dit-on, sur une longueur de deux lieues et demie, était sanctifiée de pieux souvenirs. Ici reposait une clavicule du maître, là l’unique cheveu de son crâne. Avant d’émigrer à Kandy, la Dent y avait son temple : on en voit encore les colonnes, qui rappellent le style corinthien. Plus loin, près d’une pagode rocheuse, affreusement restaurée par les bonzes, on nous montra l’empreinte du pied de Bouddha sur la pierre. Nous avons gravi les trois terrasses où depuis plus de deux mille ans continue de vivre l’authentique rejeton du figuier hindou sous lequel Gotama se sentit naître à la divinité. Sa vieillesse l’accable et l’appauvrit, et, dans cette enceinte qu’ombragent d’autres figuiers âgés seulement de quelques siècles, il semble épuisé de ses longs honneurs et de la forêt d’arbres sacrés qui, sortis de son tronc, se sont répandus à travers tous les temples de l’île : c’est le seul arbre dont j’ai pensé qu’il pourrait mourir. Que cet endroit était beau ! Des escaliers sculptés, des colonnes monolithes ornées de chapiteaux, des tables de granit où, sous le doigt qui les mouille, les inscriptions renaissent, des pierres de lune plus luisantes que