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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/435

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connaissent l’existence que par les récits d’autres vagabonds, qui en étaient les auteurs ou qui en avaient entendu parler par leurs auteurs. Ces mystificateurs donnaient sur ces crimes des détails tellement circonstanciés qu’on était tenté d’ajouter foi à leurs aveux. Il y a dix-huit mois, deux inculpés détenus à Grenoble, où ils venaient de subir une condamnation aux travaux forcés, s’accusèrent de vols qualifiés faisant l’objet d’une instruction à Belley. Les aveux étaient précis, circonstanciés, l’information était sur le point d’être close lorsque le juge reçut une lettre d’un troisième individu détenu à la maison centrale de Clairvaux, qui s’accusait de vols commis dans la même région que celle où avaient soi-disant opéré les deux premiers. Il fut transféré à Belley comme ceux-ci ; mais le juge, trouvant étrange cette épidémie d’aveux spontanés et flairant quelque machination, le fit mettre au secret dès son arrivée. Fatigué bientôt de ce régime inattendu, ce prisonnier rétracta ses aveux. Les deux autres persistaient dans les leurs. L’instruction fut serrée de près. Le juge leur demanda des renseignemens détaillés sur la situation topographique des villages où avaient été commis les crimes dont ils s’accusaient, les accula à des contradictions radicales, et finalement établit que les trois compères, qui se connaissaient de longue date, ayant appris la maladie du gardien-chef de Belley, s’étaient donné rendez-vous en cette ville dans l’espoir de garrotter et au besoin de tuer le seul gardien valide restant et de s’évader. Ces trois détenus étaient encore des vagabonds !

Les vagabonds criminels sont aussi, à d’autres égards, une source d’embarras lorsqu’on parvient à les saisir ; quand ils se donnent comme étrangers, par exemple, le contrôle de leur identité n’est point facile. S’il s’agit d’un homme du pays ayant donné un faux état civil, le retour du casier judiciaire, avec la mention : Pas d’acte de naissance applicable, indique au magistrat qu’il a été trompé. Il a alors la ressource d’appeler l’attention du service central de l’identité judiciaire sur la fiche du simulateur, qui sera fatalement démasqué s’il a été condamné déjà, mais seulement s’il a été condamné. S’il s’agit, au contraire, d’un individu se disant né à l’étranger, mais en réalité né en France, le casier central ne portera point la mention : Pas d’acte de naissance applicable, mais seulement la mention : Rien au casier, et par suite le magistrat ignorera qu’il a peut-être devant lui un repris de justice. Ne se trouvant point en présence de la mention : Pas d’acte applicable,