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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/439

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l’homme. Nous ne traitons ici que la question des vagabonds valides et dangereux.

On a proposé, comme remède au mal, de détenir les vagabonds pendant le temps nécessaire à l’acquisition d’un pécule suffisant pour leur permettre de subsister en attendant de trouver de l’occupation. Nous considérons que le moyen serait encore inefficace. D’abord le libéré a toujours contre lui sa situation d’ancien détenu, mais ce n’est pas la seule raison qui nous a déterminé à contester l’efficacité du remède proposé. Nous savons, en effet, pour avoir observé attentivement de nombreux vagabonds, de tempéramens les plus divers, que le pécule, même considérable, sera rapidement gaspillé. Un détenu vagabond fort intelligent, auquel nous avons demandé son sentiment sur ce point, nous a fait une réponse intéressante : « Lorsque le détenu sortira de prison, même après cinq ans de détention, son pécule fût-il de 1 000 francs, il l’emploiera à boire et à s’amuser. Il ne saura pas l’utiliser ; chez lui, le moral est affaibli fatalement, quelle qu’ait été son énergie primitive. Il lui faut, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’éducation de l’argent ; il lui faut quelqu’un pour le guider dans la mise en œuvre de ses ressources pécuniaires. » Ainsi me parla mon vagabond et il tint, en cette circonstance, le langage de la logique et du bon sens. Il aurait pu ajouter qu’une période de privation est nécessairement suivie d’une réaction qui porte davantage vers le plaisir l’homme qui a souffert : le fruit qui lui a été si longtemps défendu exerce sur lui une attraction d’autant plus irrésistible. Pourquoi, sinon pour cette cause, tant d’ouvriers gaspillent-ils en deux ou trois jours le salaire de toute une semaine ? Et n’est-ce point en vertu de ce principe que le règne du plaisir s’est établi triomphant, au lendemain du 9 Thermidor, sur les ruines de la Terreur ?

Notre vagabond philosophe nous dit encore que ses nombreuses observations l’avaient amené à concevoir le plan d’un système de colonie permettant d’enrayer le vagabondage. Il avait étudié de près diverses colonies agricoles qui lui paraissaient défectueuses, en ce sens que l’on n’y distinguait pas entre les bons et les mauvais naturels. La colonie de son rêve comprendrait trois catégories : dans un premier local, les arrivans seraient mis en observation, puis ils passeraient dans un deuxième local où ils seraient soumis à un contrôle ; on noterait leur caractère, leurs aptitudes, etc. Ils seraient traités selon leur tempérament, car le