Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femme, vraiment femme. Il l’aime pour avoir trouvé en elle un abrégé de cette perversité féminine où l’homme en tous les temps s’est laissé prendre comme dans un piège voluptueux. Nous n’avons pas de raisons d’être pour Joséphine plus sévère que n’a été son mari ; nous avons plus de peine à traiter avec autant d’indulgence que lui la molle, l’égoïste, la sensuelle Marie-Louise. Alors que son abandon est devenu certain, l’Empereur, par une tactique qui ne se démentira pas, par un parti pris qui s’affirmera jusque dans le testament, s’efforce d’excuser la mère de son fils, de rejeter sur son entourage toutes ses trahisons : « Marie-Louise était l’innocence même ; c’était l’opposé de Joséphine, elle ne mentait jamais. Elle m’aimait, voulait toujours être avec moi. Si elle avait été bien conseillée et n’avait pas eu près d’elle cette canaille de M… et ce Corvisart qui, j’en conviens, était un misérable, elle serait venue avec moi ; mais on lui a raconté que sa tante avait été guillotinée, et les circonstances avaient été trop fortes pour elle. Et puis, son père a mis auprès d’elle ce polisson de Neipperg ! » Illusion ou politique ? Il ne faut pas qu’on soupçonne la femme de César. César donne l’exemple.

Élève du XVIIIe siècle, il va sans dire que Napoléon est matérialiste et athée. Il s’exprime sur la nature de l’âme, sur Dieu, sur la vie future, sur la religion avec un cynisme qui scandalise les croyances de Gourgaud. Il répète, de vingt façons, que tout n’est que matière. Il s’est confirmé dans cette opinion en causant avec Monge, Laplace, Berthollet, tout l’Institut qui était athée. Il en a trouvé la preuve, tant de fois répétée, dans les spectacles du champ de bataille où il voyait les hommes passer si rapidement de la vie au néant. Comme le cerf, comme le bœuf, comme tous les animaux, l’homme n’est qu’un composé de matière organique. Il a été produit par le limon de la terre échauffé par le soleil et combiné avec les fluides électriques. L’homme a été créé par une certaine température de l’atmosphère. C’est pourquoi, s’il fallait adorer un Dieu, Napoléon choisirait le. Soleil, encore qu’il n’ignore pas que cela est contraire à la religion. Ce matérialisme, comme c’est l’habitude, s’accommode de toutes sortes de croyances superstitieuses. Croyance au pressentiment : « Les yeux sont moyens proportionnels entre les mains et les pressentimens. La main dit à l’œil : Comment peux-tu voir à deux lieues ? Je ne puis atteindre à deux pieds. L’œil dit au pressentiment : Comment peux-tu voir dans l’avenir ? Je ne puis distinguer plus loin que deux lieues. » — « Sa Majesté nous raconte que le jour de l’incendie au bal de Schwarzenberg, elle fut frappée de l’idée que c’était d’un mauvais augure pour elle. Aussi,